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ANRC 2021

Le Comité d’étude des demandes et mises en nomination 2021

La Fondation Pierre Elliott Trudeau aimerait remercier le Comité d’étude des demandes et mises en nomination (CÉDMN) d’avoir si généreusement contribué à recommander nos boursier.e.s, fellows et mentor.e.s au conseil d’administration. Bien que le début de l’année 2021 ait été très différent des années précédentes pour tout le monde – notre processus de candidatures et d’entrevues virtuelles n’y a pas fait exception –, les membres du Comité ont su faire preuve d’un engagement indéfectible.
Fulbright PETF Fellowship

Fellowship Fulbright Canada – Fondation Pierre Elliott Trudeau

Fellowship Fulbright Canada – Fondation Pierre Elliott Trudeau

La Fondation Pierre Elliott Trudeau et Fulbright Canada ont créé une chaire de recherche dédiée aux politiques publiques contemporaines qui représente une occasion enrichissante et multidimensionnelle de contribuer à la mission de la Fondation. Chaque année, on choisira un.e fellow Fulbright Canada – Fondation Pierre Elliott Trudeau qui participera, aux côtés d’autres fellows et de mentor.e.s, à la transmission du curriculum de leadership engagé de la Fondation, Construisons des espaces de courage, à notre cohorte de boursier.e.s audacieux.ses et innovant.e.s.

Audace et résilience : Prendre des risques positifs

Summary
Audace et résilience : Prendre des risques calculés


Dans cet épisode, Janice McDonald, mentore 2020 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, et les boursieres 2020 Laya Behbahani et Allison Furniss examinent comment ils évaluent les risques dans leurs recherches universitaires et leurs activités professionnelles, et comment la peur de l'échec peut parfois nous empêcher de prendre les mesures nécessaires pour atteindre nos objectifs.
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Dans cet épisode, Janice McDonald, mentore 2020 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau, et les boursières 2020 Laya Behbahani et Allison Furniss examinent comment ils évaluent les risques dans leurs recherches universitaires et leurs activités professionnelles, et comment la peur de l'échec peut parfois nous empêcher de prendre les mesures nécessaires pour atteindre nos objectifs. 

 

 

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

 

Valerie Pringle : Échouer, c'est dur pour le moral. L'échec peut changer l'image qu'on a de soi et nous amener à douter de nos capacités. La peur de l'échec peut aussi nous empêcher de prendre les risques nécessaires à l'atteinte de nos objectifs. Mais comment l'échec peut-il nous aider à grandir comme personne? Ici Valerie Pringle. Bienvenue à ce nouvel épisode d'Espaces de courage. Nous allons discuter de cette question avec trois formidables membres de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Avec nous aujourd'hui, la boursière 2020 Laya Behbahani, doctorante à l'école de communication de l'Université Simon Fraser. Ses recherches explorent le travail forcé, l'esclavage moderne et les expériences de traite des êtres humains dans les États du golfe du Moyen-Orient. Allison Furniss, aussi boursière 2020, est doctorante au département de sociologie de l'Université du Cap en Afrique du Sud. Ses recherches portent sur les femmes travaillant dans les mines artisanales de coltan dans l'est de la République démocratique du Congo. Enfin, Janice MacDonald, mentore 2020 à la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Janice est une entrepreneure maintes fois récompensée, spécialiste en leadership, autrice à succès et fondatrice de Beacon Agency, un cabinet-conseil spécialisé. Laya, Alison et Janice. Bienvenue dans nos Espaces de courage. 

Laya Behbahani : Bonjour Valerie. Merci!

Valerie Pringle : Comme on peut le voir, vous provenez de différents horizons, vos expériences sont très différentes. À titre de mentore pour la Fondation Pierre Elliott Trudeau pour un an, j'ai eu la chance de sélectionner les boursier.e.s, c'était fantastique. Je lisais vos CV et tout le reste... La liste de vos réussites et réalisations est interminable. C'est presque surhumain, en fait. Donc, évidemment, c'est ce qu'on a tendance à montrer au monde entier. Et les parcours des membres de cette communauté sont ponctués de réalisations. Mais je crois qu'il est intéressant de regarder l'envers de la médaille, d'aborder le sujet d'un autre angle, de parler des échecs et des leçons qu'on peut en tirer. 

Alors, commençons par discuter de l'échec dont vous êtes le plus fières, et de la façon dont vous avez su tirer profit de cette expérience pour rebondir et avancer. Laya, voulez-vous commencer?

Laya Behbahani : Bien sûr, Valerie. J'ai réfléchi à cette question. C'est une bonne question. L'exemple qui me vient spontanément à l'esprit, ce n'est pas ce que je considère un échec à proprement parler, mais disons que c'est plutôt inhabituel dans mon domaine. Dans mon cas, j'ai mis beaucoup de temps à terminer ma carrière universitaire. Et je sais que ce n'est pas tellement recommandé de prendre son temps pour faire son baccalauréat ou sa maîtrise. Bref, j'ai mis sept ans avant d'obtenir mon diplôme de premier cycle, mais avec le recul, je dois dire que j'en suis sortie grandie. Cette expérience a ouvert mon esprit, notamment face à mon domaine de recherche, la traite des êtres humains, comme vous l'avez mentionné. Donc, d'après les normes universitaires, la durée de mes études peut être considérée comme un échec ou une erreur. Mais de mon point de vue, je dirais plutôt que j'ai choisi un autre chemin. J'ai pris le temps de faire des stages à différents endroits, comme à la section de la traite des êtres humains des Nations unies à Vienne. J'ai travaillé à la faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique et dans des tribunaux provinciaux du pays. En somme, avec le recul, je crois que si je n'avais pas eu de telles expériences, je ne sais pas où j'en serais aujourd'hui. Je ne sais pas si je considère mon parcours comme étant une erreur ou un échec, mais on peut certainement dire que c'est inhabituel à l'université d'avoir mis tant de temps à terminer des études. 

Valerie Pringle : Diriez-vous que généralement, les gens savent ce qu'ils veulent, savent où ils vont? Et suivent une belle ligne droite?

Laya Behbahani : Oui, je dirais que c'est ce qu'on voit le plus souvent. La plupart du temps, les étudiants terminent leur doctorat en fin de vingtaine ou début de trentaine. Et c'est perçu comme la meilleure chose à faire. De commencer et de finir. Donc, prendre son temps, c'est plutôt inusité. 

Valerie Pringle : Alison, et vous? L'échec, vous connaissez? Admettez-le!

Allison Furniss : Effectivement. Vous n'aimerez certainement pas ma réponse, parce qu'en vérité, je n'aime pas ce mot : « l'échec ». Plutôt que de voir les choses comme des échecs, je vois ces moments, les emplois qu'on n'obtient pas, les stages auxquels on postule et qu'on ne décroche pas, je les vois comme des occasions de bâtir sa résilience, de se recentrer, et peut-être de changer de cap ou d'objectifs. Pour donner un exemple personnel, quand j'ai envoyé une demande à la University of Cape Town, c'était pour la maîtrise en anthropologie, et j'ai été refusée. La direction voulait que je fasse une année spécialisée supplémentaire parce que je changeais de discipline. Mais à ce moment, je venais de passer quatre ans à faire des travaux de développement en Tanzanie et en Namibie, un travail vraiment bouleversant. Et je venais de déménager à Whitehorse, au Yukon, où je suis née et où j'ai grandi. J'avais prévu de passer six mois à la maison, m'inscrire à un programme de deuxième cycle, puis retourner à l'école. Après tout, j'avais déjà mon bac et une expérience de quelques années. Mais j'ai été refusée. Pour moi, à ce moment, dans mon esprit, c'était un gros coup dur. Encore aujourd'hui, je ne vois pas cela comme un échec, mais comme un gros coup dur. Mais maintenant, surtout avec le recul, je suis vraiment contente de ne pas avoir été acceptée dans ce programme, parce qu'à l'époque, je n'étais pas prête pour le deuxième cycle. J'avais besoin de renouer avec mon milieu, de prendre du temps pour guérir de ces quatre années de travail communautaire éprouvant. 

Valerie Pringle : Intéressant. À votre tour, Janice. Votre parcours est complètement différent, vous ne venez pas du milieu universitaire. Vous êtes une mentore, vous avez un parcours d'entrepreneure. Quel a été votre plus grand échec?

Janice McDonald :Merci! Si je regarde mon parcours dans une optique entrepreneuriale, je suis très à l'aise avec le mot « échec », parce que je ne le vois pas comme un échec. Ce qui peut paraître étrange, je sais, mais qui concorde avec les commentaires de Laya et d'Allison. Dans le sens que pour moi, le plus grand échec, toutes sphères confondues, ce serait de ne pas essayer. De ne pas oser. Ma façon de voir les choses, comme entrepreneure, c'est qu'échouer, c'est apprendre, et apprendre est la clé du succès. À mon avis, l'échec fait partie intégrante du succès. Échouer, c'est l'occasion de recommencer, de se réorienter, de s'adapter. Mais cette fois, on prend cette nouvelle direction, ce nouveau départ, avec davantage de connaissances et d'expérience. Je vais vous donner un exemple concret. À l'époque où je travaillais dans le secteur de la musique, dans les années 1990, en magasin puis en ligne, j'avais fait l'erreur d'embaucher les mauvaises personnes. Pourquoi est-ce l'exemple parfait? Que s'est-il passé? Par exemple, certaines personnes m'ont volée ou ont volé l'entreprise. Tu te demandes comment tu as pu faire une telle erreur, pourquoi tu n'as pas choisi quelqu'un d'autre, et cetera. Mais en me disant qu'« échouer, c'est apprendre, et apprendre, c'est réussir », j'ai réalisé que des changements s'imposaient. De toute évidence, il fallait que j'améliore mes processus, que je change ma façon de gérer les stocks et d'aborder les choses au travail. Encore une fois, comme le disait Allison, la notion de reformulation est très puissante, très positive. C'est un véritable tremplin. \[00:10:47\]

Valerie Pringle : Vous savez, lorsque les choses ne vont pas bien, on ne se sent pas bien. Personne n'aime ça. D'accord, un jour, on finit par se dire que c'était pour le mieux, mais pendant un moment, c'est douloureux. Et personne, personne n'aime ça. 

Janice McDonald : Effectivement. Ce que je dis souvent à mes enfants, c'est qu'il faut accorder 10 % d'attention au problème, et 90 % de nos efforts à la solution. Et vous avez totalement raison. Ça fait mal. Mais ce qui m'intéresse le plus, c'est de ne pas répéter la même erreur. Parce que des erreurs, on en fait toujours. C'est inévitable. Mais ai-je appris? Ai-je fait ce qu'il faut pour corriger le problème, pour améliorer la situation?

Valerie Pringle : Ce qui nous amène à mon autre question. Ce qu'on cherche à faire ici, je crois, et qui pourra servir aux membres de la communauté et aux gens qui écoutent le balado, c'est créer un espace de réflexion sur la réaction face à l'échec. Comment peut-on trouver des mécanismes concrets qui peuvent nous aider lorsqu'on se retrouve devant un choix? Vous évaluez les risques d'après votre expérience, et vous tentez votrechance? Vous savez, je ne suis pas une universitaire. Mon domaine est celui de la radiodiffusion, je ne connais pas votre univers. Laya, peut-être que vous pourriez briser la glace? Est-ce différent dans le milieu universitaire?Est-on toujours supposé réussir ou projeter l'image qu'on réussit si on vise, disons, une carrière en enseignement universitaire ou toute autre carrière estimée prestigieuse?

Laya Behbahani : D'après mon expérience, une part du milieu universitaire s'attend à ce qu'on fasse des erreurs, parce qu'on croit que se tromper est la meilleure façon d'apprendre. J'ai parlé à des professeur.e.sreconnu.e.s, des professeur.e.s dont les articles ont été refusés 18, 19, ou 20 fois. Donc, l'échec est très présent dans ce parcours, car il est entendu que l'apprentissage par l'expérience a beaucoup plus de poids que le fait de recevoir le feu vert chaque fois que l'on essaie de faire quelque chose. Le renforcement positif, la prise de risques intelligents, ces éléments font partie de l'expérience universitaire. En fait, je crois que c'est un des points forts du milieu : on s'attend à ce qu'on prenne des risques calculés, et à ce qu'on échoue. On s'attend à ce qu'on fasse des erreurs, parce que les erreurs nous font grandir comme universitaire.

Valerie Pringle : Allison ou Janice, qu'en pensez-vous? Comment déterminez-vous quels risques sont dignes d'être pris?

Allison Furniss : Pour moi, une grande partie de cette conversation autour de la prise de risques implique de tenir compte des autres points de vue, mais de ne pas avoir peur de les remettre en question. Je crois profondément au proverbe « qui ne risque rien n'a rien ». Mais c'est un chemin sur lequel on peut croiser beaucoup d'opposants. Des tonnes de personnes vous diront : « Tu ne peux pas le faire, tu ne devrais pas le faire. C'est impossible. » Mais je suis convaincue qu'il ne faut pas les écouter. D'accord, on peut tenir compte de ces points de vue différents, mais il ne faut jamais avoir peur de les remettre en question. Prenons par exemple le travail de maîtrise que j'ai fait dans l'est de la RDC. C'était dans un contexte d'instabilité, d'imprévisibilité politique. Des groupes armés y sont toujours actifs, même en contexte d'après-guerre. Avant mon départ, tout le monde me disait de ne pas y aller, que je ne devrais pas y aller. Même ma directrice de travaux m'a dit que j'étais folle de faire de la recherche dans l'est de la République démocratique du Congo, mais moi, j'étais convaincue. Je savais que ce projet en valait la peine. Je savais qu'il était réalisable et que je pouvais le faire. Le projet a pratiquement échoué, par contre. C'était tellement long, tellement compliqué d'organiser cette recherche à cause du lieu, un milieu imprévisible et un peu instable. C'était vraiment difficile. Et l'accueil a été vraiment froid. Je ne connaissais personne. Au début, personne n'était là pour m'aider. 

Valerie Pringle :Vraiment? Si j'avais été ta mère, Allison, j'aurais été inquiète!

Allison Furniss : Oui, c'est vrai. Elle était inquiète. En fait, il y avait quelques personnes, je peux les compter sur les doigts de ma main, qui m'ont appuyée. Les voix négatives étaient si nombreuses qu'elles ont commencé à ébranler ma confiance dans mon projet. Ma stratégie a donc été d'arrêter de parler aux gens de mon projet, de modérer mes propos sur ce que je faisais pour éviter de me noyer dans cette négativité, pour me protéger de ces gens qui disaient que je ne pouvais pas alors que je savais que je pouvais. Je crois que c'est très important d'en parler. Évidemment, si ma superviseure dit craindre de réels dangers, d'accord. Je vais prendre les précautions nécessaires. Je vais faire valoir que j'ai de bonnes assurances, et tout le reste. Mais je ne vais pas baisser les bras pour autant. Je pense que dans le milieu universitaire surtout, on repousse les limites. On se rend dans des endroits inusités. On pose des questions dérangeantes. On se heurte à beaucoup d'objections, on rencontre beaucoup d'embûches. Il faut toujours se rappeler qu'on doit tenir compte de ces autres points de vue différents, mais qu'il ne faut jamais avoir peur de les remettre en question.

Valerie Pringle : Janice, c'est très audacieux, n'est-ce pas?

Janice McDonald : Oui, absolument. Je crois qu'Allison a soulevé un point vraiment important : lorsqu'on repousse les limites, lorsqu'on prend ces risques, il faut avoir au moins une personne qui nous appuie, qui nous encourage, quelqu'un vers qui on peut se tourner, sur qui on peut compter pour nous remonter le moral. Oui, il faut se poser des questions et prendre les précautions nécessaires. J'espère que vous le faites. Mais ensuite, et c'est bon pour tout le monde, il faut voir quelle question est pertinente à se poser par la suite. Dans le monde des affaires, mais je crois que c'est aussi vrai dans le milieu intellectuel, on peut se demander quelle est la pire chose qui pourrait arriver. 

Valerie Pringle : Je me suis posé cette question très, très souvent dans ma vie. Exact. 

Janice McDonald : Exact. Parfois, on prend du recul pour voir le pire qui est arrivé ou qui pourrait arriver. La première chose à faire, donc, est d'examiner la situation, d'envisager le pire et d'apprivoiser ces possibilités. Ensuite, il faut évaluer la probabilité qu'elles surviennent, et changer ses plans au besoin. Il faut donc déterminer son degré d'aisance face à ces risques. Ce qui peut être très utile aussi, c'est faire de petits pas dans la bonne direction, même s'il faut s'éloigner un peu du chemin principal ou prendre un chemin parallèle. Donc, on continue d'avancer jusqu'à ce qu'on se sente prêt.e à reprendre la voie principale. Mais, toujours dans l'idée de continuer à progresser dans la direction qui nous mène là où on veut aller. 

Laya Behbahani : Oui, j'allais justement dire que je suis entièrement d'accord avec Janice et Allison. Je crois que l'une des choses dont je tiens toujours compte, un peu comme Allison, c'est que le sujet de ma recherche est un peu tabou dans le golfe du Moyen-Orient. Personne ne veut parler de travail forcé, d'esclavage ou de traite des personnes. La recherche sur le terrain n'est pas optimale là-bas, mais nous avons décidé de faire de la recherche à cet endroit, sur ce sujet. Ce qui m'importe, par contre, c'est me demander si mon travail peut poser un danger pour moi-même ou une autre personne. Si c'est le cas, à mes yeux, dans une optique de prise de risques intelligents, j'ai tendance à me dire que ça ne vaut pas la peine, que le coût est trop élevé. Mais si on le regarde sous l'angle de la prise de risques en général, Allison a raison, qui ne risque rien n'a rien, et l'université nous appuie en ce sens. On nous encourage à sortir des sentiers battus, à faire un travail qui repousse les limites, justement. 

Valerie Pringle : Il faut accepter de faire des vagues et avoir du courage, je suppose, pour se tenir debout et défendre son point de vue. 

Laya Behbahani : Oui, et pour poser des questions difficiles, comme disait Allison, des questions que personne ne veut poser. 

Valerie Pringle : En ce qui vous concerne, Laya, comme vous le disiez, dans le cadre de votre recherche, vous vous butez automatiquement à de la résistance puisque vous étudiez des sujets dont on ne veut pas parler, comme la traite humaine. Non, ça n'existe pas ici. C'est interdit. Comment déterminez-vous la suite des choses? Comment évaluez-vous quels risques sont dignes d'être pris?

Laya Behbahani : Je dirais que ça va plus loin que repousser les limites ou mesurer les risques. Dans les cas des États du golfe, certains types de recherche vont vous interdire l'entrée au pays. C'est le genre de sujets auxquels je m'intéresse. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle? Au point de ne plus jamais pouvoir remettre le pied dans ces États? Au point de mettre en danger certaines de ces populations? Non, dans ces circonstances, je préfère laisser tomber la recherche sur le terrain. Mais je peux certainement user d'imagination et orienter mes travaux de recherche sur les mouvements migratoires des pays concernés qui envoient des travailleurs migrants dans les États du golfe. C'est possible. Il est donc toujours possible de changer de stratégie pour parvenir à ses fins, sans nécessairement mettre de côté le sujet ou les questions qui nous intéressent. On obtient alors le même résultat, mais sans causer de tort, sans nuire aux gens qu'on cherche à étudier. À mes yeux, les communautés de migrants que j'étudie et avec qui je travaille arrivent en tête de liste. Leur sécurité est plus importante que tout. Viennent ensuite les questions difficiles. J'ai donc reformulé ma recherche, comme je disais, pour aller sur le terrain des pays concernés : l'Égypte, l'Inde, le Pakistan et les Philippines. Dans le cadre de ce travail sur le terrain, on pose des questions, on observe les participants et on interroge les migrants. On ne se rend pas dans les États du golfe, on ne met pas en danger ces populations qui se trouvent déjà dans une situation précaire. À mes yeux, ça ne vaudrait pas la peine de risquer de les mettre en danger. 

Valerie Pringle : Allison, vous faites essentiellement le même travail que Laya. Quels conseils donneriez-vous à un universitaire qui vous écoute? Comment abordez-vous votre travail?

Allison Furniss : Pour rebondir sur ce que disait Laya, c'est vrai, on ne calcule pas les risques de la même façon pour soi, comme chercheuse universitaire par exemple, et pour les participants de la recherche. Mais bien honnêtement, je crois vraiment que souvent, les gens ont peur à cause de leurs croyances et des stéréotypes. Je veux vraiment insister là-dessus. Si vous êtes un.e jeune chercheur.se, si vous voulez faire du travail de terrain, de la recherche fondamentale, de l'ethnographie, peu importe, des entrevues même, n'ayez pas peur de faire quelque chose que les autres n'ont pas fait juste parce que les gens vous disent que vous ne pouvez pas le faire. Croyez en vos convictions, ayez confiance en votre projet. Soyez fermement convaincu.e.s de la valeur de votre travail. 

Janice McDonald : Je vais rebondir là-dessus, car je crois que de façon générale, les gens ne font pas assez d'erreurs. Ils ne prennent pas assez de risques. Évidemment, c'est la femme d'affaires qui parle. Mais, vous savez, j'ai déjà été chercheuse, et je suis d'accord. Les gens nous disent : « Ne fais pas ci, ne fais pas ça. » Surtout aux femmes. Si j'avais un conseil à donner, ce serait de bien bâtir son réseau. Pour revenir à la Fondation, le réseau est extraordinaire. Les boursier.e.s et ceux et celles qui poursuivent une carrière devraient travailler à élargir leur réseau, s'entourer de gens de différents horizons, aux points de vue différents. Un tel réseau est un outil puissant qui pourrait vous ouvrir de nouvelles portes et remettre en question vos croyances, votre façon d'aborder les choses. C'est dans cette optique que j'ai bâti mon réseau, et c'est ce qui m'a beaucoup aidée. Mais j'ai vu les bienfaits pour les autres aussi. Simple matière à réflexion.

Valerie Pringle : Eh bien, merci à vous trois pour tous ces commentaires éclairants, pour vos confidences et votre courage. Merci Laya Behbahani, Allison Furniss et Janice McDonald, toutes trois membres de la communauté de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Au programme du prochain épisode : comment est-ce qu'on prend soin de soi, comment est-ce qu'on se remet d'une conversation difficile, éprouvante, le genre de conversation intrinsèqueà tout travail de recherche, à tout projet. Et pour en discuter, nous recevrons la boursière 2019 Diane Roberts et la mentore 2019 Shannon Litzenberger de la Fondation. Encore une fois, merci beaucoup.

Date

Inégalités sociales en temps de pandémie

Summary
Cindy Blackstock: Well, I'm a proud member of the Gitxsan First Nation of British Columbia, and I'm a professor at McGill University and the executive director of the First Nations Child and Family Caring Society of Canada. What I really do is spend most of my days trying to get equitable access to public services for First Nations children in Canada. They still get less across the board in almost every public service, simply because of who they are. 
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Cindy Blackstock, professeure à l’Université McGill, se joint à Vardit Ravitsky pour échanger sur l’impact de la COVID-19 sur les communautés autochtones, et sur l’incapacité de ces dernières à affronter la pandémie à armes égales à la suite d’années de négligence.

 

 

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

 

Vardit Ravitsky: Vardit Ravitsky : Il n’y a plus de doute : la pandémie de COVID-19 a frappé de plein fouet les groupes marginalisés plus que tout autre groupe, et révélé des trous béants dans notre filet de sécurité sociale et notre réseau de la santé. Un constat qui n’a rien d’étonnant aux yeux de Cindy Blackstock, professeure à l’École de service social de l’Université McGill et directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada.

 

Cindy Blackstock : Je suis une fière membre de la Première Nation Gitxsan de la Colombie-Britannique. J’enseigne à l’Université McGill et je travaille comme directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada. Mais ma principale occupation, c’est de me battre pour que les enfants des Premières Nations au Canada aient un accès équitable aux services publics. Ils sont moins bien desservis dans presque tous les services publics, simplement à cause de ce qu’ils sont.

 

Vardit R. : Beaucoup de Canadien.ne.s ont appris par les médias que la COVID-19 a de plus graves répercussions sur les Premières Nations, que les Autochtones vivant dans les réserves sont plus à risque. Pourquoi? 

 

Cindy Blackstock : Pour comprendre, il faut remonter à la Confédération. Le gouvernement fédéral finance tous les services publics offerts dans les réserves, tandis que les provinces et les territoires financent ceux qui sont offerts au reste de la population. Le problème, c’est que le fédéral a toujours sous-financé ces services, et de beaucoup, soit jusqu’à 50 % ou 30 %. Et, bien sûr, les Premières Nations n’ont toujours pas d’eau, pas de réseaux sanitaires dignes de ce nom. J’aimerais souligner que le problème n’est pas l’éloignement. Vous avez peut-être entendu dire récemment qu’à White Rock, une ville tout près de Vancouver, il y a une Première Nation qui doit faire bouillir son eau avant de la boire. Et ça dure depuis des décennies. Donc, le problème, c’est le manque de services dans les réserves. Et c’est très, très problématique. À cause de cette situation, les Premières Nations sont nettement désavantagées dès le départ, parce que sans eau, sans services, on ne peut pas fonctionner normalement comme société. 

 

Vardit R. : Cindy, quel est votre premier souvenir de la pandémie ou du confinement, après un an à vivre dans ces conditions extrêmement inhabituelles? Quand avez-vous réalisé, pour la première fois après l’annonce de l’OMS, que la pandémie allait avoir des conséquences très différentes sur les Premières Nations? 

 

Cindy Blackstock : Instantanément. Mon cœur a fait un bond, parce que je savais à quel point certaines communautés étaient vulnérables. Il faut préciser que cette vulnérabilité n’a rien à voir avec les Premières Nations elles-mêmes. Elle existe parce que les gouvernements ont choisi de leur donner moins et de les placer en situation de vulnérabilité en sous-finançant tous ces services. Donc, dès les premiers jours de la pandémie, on nous disait des choses comme « restez à la maison » et « lavez-vous les mains », par exemple. Je savais que ce serait impossible pour beaucoup de familles des Premières Nations au pays. Et j’étais très, très inquiète de ce qui allait arriver. D’autre part, je me disais que si moi je vivais dans une communauté où il n’y avait pas d’eau, la COVID ne serait pas le plus grand de mes soucis. Je me demanderais plutôt comment faire pour offrir un verre d’eau potable à mon enfant ou à un aîné qui vit dans ma maison. La COVID, c’est grave, oui, mais si je coupais l’eau potable de toutes les personnes qui vivent au Canada, je crois que le manque d’eau les inquiéterait davantage que la COVID. C’est la triste réalité de beaucoup trop de gens des Premières Nations au pays.

 

Vardit R. : Décrivez-nous les conséquences de la pandémie dans ce contexte-là. Ce qui s’est passé, concrètement. 

 

Cindy Blackstock : Effectivement. Chez bien des Premières Nations, les leaders, les aîné.e.s et les gardien.ne.s du savoir ont décidé de confiner les communautés pour que personne ne puisse y entrer ou en sortir, sauf en cas de nécessité absolue. C’était une mesure essentielle, car dans une maison sans eau et surpeuplée, le virus se répandrait comme une traînée de poudre. Mais cette mesure signifiait aussi qu’il faudrait séparer des familles. Les gens étaient encore moins libres de circuler que lorsque je suis arrivée ici à Ottawa pendant les pires périodes de confinement. Et n’oubliez que seulement 35 % des Premières Nations ont accès à l’Internet haute vitesse dans leur maison. Alors, pendant que vous et moi devons apprendre à fonctionner avec le télétravail et l’apprentissage en ligne pour les enfants, les Premières Nations n’ont même pas cette option.

 

Vardit R. : Cindy, au début de la pandémie, vous m’avez parlé d’une conversation que vous avez eu avec votre mère. Pourriez-vous nous raconter? 

 

Cindy Blackstock : Oui. Ma mère me soutient dans une poursuite de 14 ans maintenant contre le gouvernement canadien pour qu’il fournisse des services équitables aux enfants des Premières Nations. Le gouvernement canadien a été jugé responsable, en 2016, de discrimination raciale contre ces enfants parce qu’il sous-finançait les services. Le tribunal lui a ordonné d’arrêter. Le jugement était exécutoire. Mais le Canada n’a pas arrêté. Il n’a pris que très peu de mesures, et à la pièce. Je pense qu’il a reçu neuf ordonnances de non-conformité. On voit enfin les choses bouger un peu, mais le gouvernement canadien ne fait que commencer à se conformer à la loi. Ma mère a été témoin de tout ça toutes ces années. Et elle se demandait : « Pourquoi? Pourquoi un gouvernement donnerait-il moins à un enfant à cause de son identité? » Au début de la pandémie, elle a dit « Je ne savais même pas que nous avions tout cet argent! » Le gouvernement dépensait de l’argent de tous côtés. Elle en concluait qu’il avait toujours été possible de fournir de l’eau potable aux enfants des Premières Nations. Qu’il avait toujours été possible de leur offrir une éducation équitable, de leur offrir des soins de santé équitables. Les gouvernements ont tour à tour choisi de ne pas le faire. 

 

Vardit R. : Je ne peux pas imaginer la frustration que peuvent ressentir les gens qui sont témoins de cette situation depuis des années.

 

Cindy Blackstock : C’est la pandémie silencieuse, en fait. C’est le genre de problèmes chroniques dont on ne s’occupe pas. On laisse les gouvernements dire aux Premières Nations : « Soyez patients. Les choses ne peuvent pas changer du jour au lendemain. » Cette situation dure depuis 153 ans. Elle ne date pas d’hier. Or, les gouvernements sont habitués de gérer des dossiers complexes. On l’a vu pendant la pandémie, heureusement d’ailleurs, avec le lancement rapide de la PCU et d’autres mesures de soutien. C’est insensé : on est capables d’instaurer des programmes comme la PCU, de conclure un accord commercial avec l’ancien fou à la tête de la Maison-Blanche, mais on a du mal à offrir des services équitables aux enfants des Premières Nations. Je ne peux pas comprendre, je ne comprends pas. 

 

Vardit R. : Tout le monde est conscient des inégalités que la pandémie fait peser sur les communautés racialisées, les minorités et les personnes défavorisées. Je voulais vous demander ce que vous avez ressenti pendant la pandémie en voyant le débat, le discours au Canada sur le racisme. Les gens se demandaient : « Est-on comme aux États-Unis? Est-on est différents? Y a-t-il du racisme au Canada? » Je sais que vous trouvez ce débat extrêmement frustrant, mais j’aimerais vous entendre à ce sujet. 

 

Cindy Blackstock : D’accord. Vous savez, je pense qu’au Canada, on a cette réputation d’être le bastion des droits de la personne, que le genre de racisme qu’on voit aux États-Unis contre les personnes noires, par exemple, n’arrive pas ici. C’est le discours qu’on tient au Canada. Mais j’aimerais rappeler aux gens l’existence de la Loi sur les Indiens. C’est le seul projet de loi fondé sur la race dans le monde occidental, et il existe depuis que le pays existe. Pour vous donner une idée, en vertu de cette Loi, lorsque vous aviez un bébé, ce n’est pas vous qui décidiez s’il était un enfant des Premières Nations avec ou sans statut. Le statut définissait si le gouvernement reconnaîtrait ou non vos droits et ses obligations envers vous en tant que membre des Premières Nations pour cet enfant. D’où la création des réserves. D’ailleurs, les limites de ces terres de réserve ont été définies dans les années 1800. Mais contrairement aux limites municipales d’Ottawa ou de Toronto, par exemple, ces limites n’ont pas été repoussées avec l’augmentation de la population; elles sont restées telles quelles. D’où le surpeuplement. De plus, les gouvernements de bande ont été remplacés par des conseils de bande. On se retrouve alors avec des Premières Nations aux prises avec une loi coloniale raciste et donc, avec un racisme systémique envers les Premières Nations, un racisme qui s’inscrit encore dans l’ADN du pays. Ce colonialisme a non seulement été adopté pour opprimer les Premières Nations, les Métisses et les peuples autochtones et pour violer leurs droits; il visait à laisser les Canadiens dans l’ignorance. Il a alimenté le discours comme quoi nous sommes extraordinaires, que nous ne serons jamais comme les Américains. Résultat : au Canada, et même si c’est moins vrai qu’il y a dix ans, M. et Mme Tout-le-Monde ne voient toujours pas la discrimination systémique. M. et Mme Tout-le-Monde n’y croient pas, mais c’est bel et bien là. Quand on reconnaîtra le problème, on pourra y voir. 

 

Vardit R. : Vous avez raison, la plupart des Canadien.ne.s ont cette impression que notre société est fondée sur la solidarité, la justice, les droits de la personne. Il y a une forte contradiction entre l’image qu’on a de nous-mêmes en tant que Canadien.ne.s, et la réalité que vous décrivez.

 

Cindy Blackstock : C’est vraiment difficile. Moi, j’invite les gens à être curieux, à chercher « Loi sur les Indiens » dans Google. Lisez la table des matières. Nous, à la Société de soutien, on propose 73 façons de changer les choses en moins de 15 minutes. Lisez les rapports du vérificateur général du Canada, les rapports des responsables du budget parlementaire. Toute la preuve est là. Il faut simplement dénormaliser la discrimination, la voir et l’accepter. On pourra alors espérer être à la hauteur de cette identité qui, pendant de nombreuses années, a été un mythe, mais peut enfin devenir une réalité. On pourra enfin devenir un pays de justice et de droits fondamentaux si nous n’avons pas peur de reconnaître et de corriger les travers de notre société.

 

Vardit R. : Nous sommes nombreux à répéter à quel point on a hâte de reprendre une vie normale, sur le plan personnel, social et professionnel. Cette expression de « retour à la normale » est tellement répandue, surtout maintenant avec la vaccination. J’imagine que pour vous, le retour à la normale n’est pas exactement ce que vous souhaitez pour l’avenir. Quel genre de normalité aimeriez-vous voir après la COVID?

 

Cindy Blackstock : Je voudrais voir le gouvernement canadien se libérer enfin de sa longue tradition de services hérités de l’apartheid pour les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations. Je voudrais voir un accord ressemblant à ce qui s’appelle le Spirit Bear Plan, qui vise à abolir toutes les inégalités dans les services publics offerts aux Premières Nations, proposer un plan semblable au plan Marshall, faire en sorte que les enfants d’aujourd’hui soient la première génération à être traités équitablement en tenant compte de leurs cultures. J’aimerais voir la même chose pour les Inuit.e.s et les Métis.se.s, c’est-à-dire que les plans d’action tout prêts ne dorment plus sur les tablettes du gouvernement du Canada et qu’ils soient exécutés le plus vite possible pour changer la vie de ces enfants. C’est le genre de réalité que j’aimerais voir. Je crois que chaque enfant – qu’il soit de Première Nation, inuit ou métis – est sacré, chaque enfant vaut l’investissement. Il faut cesser d’être un pays qui économise en discriminant les enfants à cause de leur race, qui les prive de services de base comme de l’eau potable, des soins de santé adéquats et des écoles sans moisissures, pour réinjecter l’argent dans de grands événements sportifs ou des festivals, par exemple. On ne peut pas utiliser la discrimination raciale comme restriction budgétaire tout en se vantant d’être une société solidaire. 

 

Vardit R. : La pandémie a le mérite de nous avoir montré ce qui arrive lorsque les gouvernements débloquent des fonds d’urgence pour une raison donnée, le genre de mesures qu’on met en place lorsque la menace est réelle. Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez vu tout cet argent tomber du ciel parce que la majorité était menacée alors que vous travaillez si fort depuis si longtemps pour que le gouvernement revoie ses priorités? 

 

Cindy Blackstock : Je me suis demandé comment je me serais sentie si j’avais été un enfant des Premières Nations dans le besoin. J’ai pensé à Shannen Koostachin, une grande héroïne de la Première Nation Attawapiskat, qui a dirigé une campagne pour les droits des enfants au Canada. Cette jeune fille invitait les enfants non autochtones à écrire au gouvernement pour que les enfants d’Attawapiskat et d’autres Premières Nations puissent apprendre dans une école digne de ce nom. Elle faisait tout ça parce que son école se trouvait sur un dépotoir de déchets toxiques contaminé par 114 000 litres de diesel dont les émanations rendaient les enfants malades. Shannen a passé son enfance à lutter pour l’enseignement équitable, disant que l’école est porteuse de rêves et que tous les enfants méritent de rêver. À 13 ans, elle devait parcourir des centaines de kilomètres pour aller à l’école, parce que celle de sa réserve manquait tellement de financement qu’elle ne lui permettrait jamais de devenir une avocate en droits de la personne et de se battre pour le droit à l’éducation des enfants. C’était en 2010. Elle allait à l’école secondaire. Elle n’aurait pas eu besoin d’aller si loin si l’école de sa réserve avait reçu les fonds adéquats. Elle est décédée dans un accident d’automobile. Shannen Koostachin n’a jamais su ce que c’était qu’être traitée comme un autre enfant au Canada. Toute son enfance, elle a vu qu’aux yeux du gouvernement, elle ne valait pas l’investissement. Cette jeune fille a été en lice pour le Prix international de la paix pour les enfants parmi 45 enfants des quatre coins du monde. Et pourtant, le gouvernement du Canada trouvait qu’il ne valait pas la peine d’investir dans des enfants comme elle. Voilà ce que je me disais lorsque j’ai vu le gouvernement dépenser une tonne d’argent en mesures d’urgence tout en se battant encore en cour contre les enfants des Premières Nations.

 

Vardit R. : Beaucoup de mes collègues de différentes disciplines parlent de la pandémie comme une épreuve de laquelle on peut apprendre. Ils et elles disent que la pandémie a montré les profondes inégalités de notre société, à quel point les groupes marginalisés sont plus grièvement touchés par cette maladie. J’aimerais revenir sur cette notion d’épreuve de laquelle on peut apprendre. Pensez-vous que la société canadienne apprendra de cette épreuve, qu’elle appliquera les leçons que la COVID nous a apprises? 

 

Cindy Blackstock : Je crois que ça dépend. Ce qui me donne de l’espoir, ce sont ces Canadien.ne.s de toutes les diversités, même politiques, qui, en voyant les rapports crédibles du vérificateur général et les jugements rendus en défaveur du Canada, en constatant ces inégalités, ils et elles sont, je crois, sincèrement consterné.e.s et souhaiteraient que cela cesse. Dans le cas présent, je crois que la population entière a une longueur d’avance sur le gouvernement. Le gouvernement est encore ancré dans une mentalité moyenâgeuse sur plusieurs de ces questions. J’ai vu des milliers de Canadien.ne.s assister aux séances de la Commission de vérité et réconciliation du Canada pour écouter les survivant.e.s et exprimer leur solidarité. Leur vision du pays est plus grande, plus humaine que le gouvernement les en croit capables. Si on peut dire aux député.e.s que la vie des Noir.e.s compte aussi, eh bien moi, je dis que la vie des enfants des Premières Nations compte aussi. On veut voir ces enfants grandir sans souffrir d’un taux de tuberculose cent fois plus élevé que dans le reste de la société, on veut qu’ils aient accès à des services fondés sur leur culture. Si les gens font ça, alors effectivement, la pandémie pourrait transformer cette épreuve riche en enseignements en mouvement d’action qui transforme le pays.

 

Vardit R. : Un grand merci, Cindy, d’avoir pris le temps de nous parler et d’être une leader inspirante. Vous avez touché nos têtes et nos cœurs. Votre plaidoyer pour un Canada meilleur a été bien entendu. Merci beaucoup. 

 

Cindy Blackstock :Merci à vous! Et pour tout le monde qui écoute, sachez que Canada est un mot des Premières Nations. Pensons-y lorsqu’on le prononce. Profitons-en pour rendre notre monde meilleur et plus juste pour les Premières Nations. Merci

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Les grands oubliés : les impacts de la pandémie chez les aînés

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André Picard, journaliste primé du Globe & Mail, discute avec Vardit Ravitsky de l’incapacité du Canada à protéger les personnes âgées pendant la pandémie et de l’urgence de réformer notre système de soins pour les aîné.e.s.
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André Picard, journaliste primé du Globe & Mail, discute avec Vardit Ravitsky de l’incapacité du Canada à protéger les personnes âgées pendant la pandémie et de l’urgence de réformer notre système de soins pour les aîné.e.s.

 

 

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

 

Vardit Ravitsky:  Je pense qu’il est juste de dire que la plupart des Canadiens sont encore consterné par les ravages causés par la COVID-19 dans les foyers de longue durée et chez les personnes âgées les plus vulnérable. Nous pouvons probablement aussi convenir qu’avant la pandémie, la plupart d’entre nous ont choisi d’ignorer les conditions dans lesquelles vivaient beaucoup de ces victimes. André Picard, journaliste primé du Globe & Mail et Mentor 2018 de la Fondation Pierre Elliott Trudeauest un des rares parmi nous a pouvoir dire qu’il l’a vu venir.

 

André Picard: Moi, j'ai commencé à suivre ça très tôt. Je me souviens d'avoir lu un tweet, je passe beaucoup trop de temps sur Twitter, mais c'était le 31 décembre, c'était la veille du jour de l'an. Durant la journée, il y avait mon collègue Hellen Brownswell, qui travaille à Stat News, à Boston. Elle a fait un tweet qui a dit, "Oh, il y a une pneumonie intéressante en Chine, quelque cas, ça me rappelle le SRAS en 2003." Et Hellen et moi, on a beaucoup couvert le SRAS et ça avait l'air vraiment beaucoup de ça. Ça nous a mis aux aguets. On a dit, "C'est intéressant, est ce que c'est un autre SRAS?". Alors, on a commencé très tôt à suivre ça. Et éventuellement, on a vu que, oui, c'était un autre coronavirus très similaire à celui qu'on a vu il y a 15 ans, qui a durement frappé le Canada. Alors, on s'était intéressé très, très tôt et rendu février, on a vu tous les morts en Espagne, en Italie et en Chine. Tous les morts étaient parmi les aînés, alors on savait très tôt dans ça que ça allait frapper durement. Les gens âgés, les aînés au Canada aussi. 

 

Vardit Ravitsky: Comme on le sait bien, la pandémie n'a épargné personne, mais le groupe le plus durement touché a été, et de loin, les Canadiens âgés. Ton dernier livre, Les grands oubliés, se penche sur les conditions de vie révélées par cette crise et en particulier chez les Canadiens âgés qui vivent dans les résidences, les foyers, les établissements de soins de longue durée. Quels sont les faits sur le terrain que nous devrions connaître sur ce qui concerne les personnes âgées au Canada durant la pandémie?

 

André Picard: Je pense que le plus important, c'est qu'on savait qu'il y avait un risque, un très, très grand risque et on n'a rien fait pour préparer. On a très bien préparé nos hôpitaux au Canada et on a laissé de compte les résidences de soins à longue durée, on a laissé les aînés à leurs malheurs. Pour moi, c'est le plus grave. On aurait pu empêcher beaucoup, beaucoup de ce qui s'est passé, mais on n'a pas agi assez vite. Mais dans la situation, pourquoi est-ce que les aînés étaient à risque? Parce qu'ils vivent dans des conditions idéales pour la propagation du virus. Ils vivent dans des établissements avec 200, 300 personnes. Ils vivent souvent 3 ou 4 par chambres, partagent les toilettes. Ils mangent ensemble. Ils ne sont pas très mobiles, ils ont des maladies chroniques. C'est le "perfect storm." C'est idéal pour un virus alors qu'on savait que c'était un problème. Et les virus sont un problème à longueur d'année dans ces résidences. Mais celui-là était beaucoup plus grave parce que c'était nouveau, on n'avait jamais vu ce virus, alors tout le monde était à risque.

 

Vardit Ravitsky: Apart ces conditions de vie qui, honnêtement, me semble difficile tous les jours,  quelle autre vulnérabilité a tu as remarqué dans le système? Quels autres problèmes auraient pu être évités?

 

André Picard: C'est vraiment un problème systématique. Comme vous avez dit, c'est un peu, un peu, beaucoup de l'âgisme dans nos politiques publiques. Les gens ainés sont un peu pris, sont un peu oubliés ou très oubliés, mis à part dans des institutions, on n'a pas des soins à domicile adéquats. Nos villes ne sont pas bâties pour les gens qui deviennent moins immobiles, etc. Alors c'est vraiment un problème sociétal très, très large. Et on a juste vu l'intensité de tout ça dans les résidences en particulier. 

 

Vardit Ravitsky: Et je suis certaine que tu as regardé un peu ce qui s'est passé dans d'autres pays quand tu compares le Canada aux autres endroits autour du monde. Est-ce on avait un problème particulier? Est-ce que les enjeux étaient partagés par tous? Qu'est-ce que tu penses?

 

André Picard: Je pense que le risque était un peu le même partout. Mais au Canada, on a eu les pires bilans de loin. Environ 80 pour cent de tous nos morts au Canada sont parmi les aînés. Dans la plupart des pays, c'est 20%, 30%,40% pour cent des morts. Aux États-Unis, c'est 40 pour cent. Mais le Canada, 80 pour cent. C'est vraiment une catastrophe. C'était une honte ce qui s'est passé. Alors qu'est-ce que les autres ont fait de mieux? Ils ont protégé leurs aînés avant nous, mais surtout, ils ont des systèmes qui sont meilleurs. Il y a moins de mouvement entre les résidences, il n'y a pas des chambres à trois, quatre lits, etc. Alors c'est vraiment le système qui était le grand défaut dans tout ça. 

 

Vardit Ravitsky: Qu'est-ce qu'on aurait ou qu'est-ce qu'on peut maintenant apprendre de la manière de faire ailleurs? Qu'est-ce qu'il faudrait adopter chez nous?

 

André Picard: Je pense surtout. On a besoin de penser où devraient vivre nos aînés quand ils deviennent plus moins mobiles, etc. quand ils ont des maladies chroniques. Est-ce que notre philosophie devrait les garder dans la communauté? Pour moi, c'est oui. Ça, ça devrait être notre philosophie numéro un. Tout le monde devrait vivre dans la communauté. On adapte la communauté aux besoins des gens. On ne peut pas juste envoyer les gens en résidence. Et quand les gens ont vraiment besoin de soins très aigus, alors ces résidences devraient avoir l'air de maison, elle ne devrait pas avoir l'air de prison. Alors ça, c'est deux très grands changements philosophiques qu'on a besoin. Et dans chacune de ces choses, on a besoin de choses pratiques, on a besoin de plus de personnel, une meilleure formation de personnel, une meilleure infrastructure. Toutes des choses très pratiques. Mais une fois qu'on a une philosophie de changer le traitement de nos aînés, les détails sont assez faciles. 

 

Vardit Ravitsky: Je partage absolument toute perspective sur le changement de philosophie et le changement culturel d'un point de vue éthique. C'est extrêmement troublant, la réalité qui a été exposée par la pandémie, mais les solutions que tu mentionnes coûtent de l'argent et nos décideurs, souvent, nous disent que c'est une question de ressources. Je me demande si tu es d'accord, qu'il y a une limite de ressources. Et même si c'est vrai, qu'elle devrait être nos priorités ? Sur quoi est ce que nous devons nous concentrer?

 

André Picard: Évidemment, il y a des limites aux ressources, mais on doit faire des choix. On doit faire des choix politiques. On doit faire des choix de société. Et pour moi, ça devrait être une priorité. On devrait prendre soin de nos aînés par respect. L'autre question, je trouve la question des ressources d'argent. C'est souvent une excuse parce qu’en réalité, on dépense beaucoup, beaucoup d'argent, mais on le dépense mal. Alors si on commence à mieux dépenser notre argent, c'est un grand début. Après ça, ce sont des choix. Alors on va dépenser combien sur la réponse à la COVID? Je pense à ce jour c'est 500 milliards, quelque 500 milliards. On pourrait réparer, on pourrait vraiment améliorer les soins aux aînés avec quoi? 3 ou 4 milliards? C'est vraiment, quand on regarde au grand portrait, c'est peu un "petty cash" dans tout ça. Alors l'argent, ce n’est pas le problème pour moi, c'est le désir de le faire, ces les priorités. 

 

Vardit Ravitsky: On parle beaucoup de la pandémie comme un "teachable moment," un moment d'apprentissage et un moment de réflexion pour l'avenir de notre société. Qu'est-ce qu'on peut faire pour garder l'attention de la génération plus jeune? À cette question, pour que ça ne disparaisse pas après, après la pandémie? 

 

André Picard: Oui, c'est un très grand risque. On a des mémoires très, très courtes en politique. Alors, comment garder l'emphase sur cette question? Je pense que c'est très essentiel comme moi. La façon de le faire, c'est de faire qu'est-ce qu'on fait en journalisme: raconter des histoires très personnelles. Et je pense, en fin de compte, le "bottom line dans tout ça," c'est que personne ne veut vivre dans ces conditions. Alors, on devrait insister que tout le monde vive dans les mêmes conditions dans lesquelles on veut vivre. Alors, tu demandes, on fait des sondages, 100% des gens ne veulent pas vivre dans les résidences de soins de longue durée. Ça nous dit qu'il y a un problème, alors il devrait avoir une réponse politique à cette question et on doit vraiment insister sur chaque faillite. On doit en parler, on doit contacter notre député, on doit dire que si ce n'est plus acceptable.

 

Vardit Ravitsky: Mais est-ce que tu penses que d'un point de vue politique, il n'y a pas assez d'impact? Ça fait partie de la raison derrière cet échec épouvantable. 

 

André Picard: Je pense un peu. Les aînés, ceux avec des maladies chroniques, n'ont pas vraiment une voix. Ils sont dans un système, ils ont beaucoup d'autres problèmes appart la politique. Mais il y a beaucoup, beaucoup d'aînés qui sont en bonne santé et on sait qu'ils votent. Ils votent en très grand nombre. Ils ont besoin de mettre leurs emphases sur ces questions et sur d'autres choses. Alors je pense qu'il y a un intérêt très général dans cette question. Une des choses qui m'a le plus marqué durant la crise, c'est que les jeunes s'intéressent beaucoup à cette question. Ils sont vraiment tannés de voir comment leurs parents, leurs grands-parents sont traités. Et il y a vraiment une mobilisation des jeunes sur cette question du traitement des aînés. Ça, ça va beaucoup, beaucoup changer la politique aussi.

 

Vardit Ravitsky: Il y avait un autre enjeu qui était très présent dans les médias et le débat public, c'était le personnel. On a réalisé dans quelles conditions de travail ils font leur travail quotidien. On a réalisé le manque d'équipements de protection. On a réalisé que le personnel passe à travers plusieurs établissements pour gagner plus d'argent. Raconte-nous un peu ce que tu as découvert pour ton travail, pour le livre par rapport aux enjeux du personnel ?

 

André Picard: Les conditions de travail sont vraiment horribles et on sait que les conditions de travail vont directement être une réflexion des conditions de traitement. Alors si les employés sont maltraités, on ne va jamais avoir de bons soins. Alors c'est essentiel de reconnaître cette connexion très directe. Prenons au Québec, les aide-soignants recevaient aussi peu que 13 dollars de l'heure. Pas de bénéfices, pas de travail à temps plein, ils travaillaient dans plein de différentes résidences, etc. C'était des conditions horribles. 

 

André Picard: Il y a un problème aussi que la plupart des gens sont des gens, des immigrants, des réfugiés, des gens qui n'ont pas vraiment une voix dans la société. Ce sont surtout des femmes. Les soins de longue durée, ce sont les femmes qui prennent soin des femmes. Le sexisme rentre dans ça, le racisme, c'est tous des gens dans la société qui vivent sur la marge, qui sont oubliés. Et tout ça multiplie le problème. 

 

Vardit Ravitsky: le passage des travailleurs entre établissements probablement à exacerber d'une manière importante la propagation du virus. 

 

André Picard: Aucune question. Les gens en CHSLD en résidence ne se promènent pas dans leur résidence. Toutes les infections sont rentrées via le personnel et je ne dis pas ça pour blâmer le personnel aussi. Ils ont été victimes du système, ils ne voulaient pas travailler dans cinq différentes institutions, mais ils avaient besoin de ça pour nourrir leur famille. Ils avaient très peu, comme vous avez mentionné, très peu de protection. Toute cette protection est allée dans les hôpitaux. On a bien protégé les hôpitaux et on a laissé les autres de côté.

 

Vardit Ravitsky: Il a un autre problème qui a été énormément débattu, c'est l'existence de structures et d'institutions privées de soins de longue durée. C'est devenu très controversé. Comment vois-tu cette relation entre le public et le privé dans le contexte des institutions? 

 

André Picard: C'est une question complexe. J'ai peur que les gens trouvent ça comme une solution simpliste. "On a juste besoin de se débarrasser du privé et tout va être mieux." Mais ça, ce n'est pas vrai. Alors, moi j'essaie de répondre à cette question en deux étapes. Premièrement, est-ce qu'on a besoin des résidences privées? Non, on n'en a pas besoin. Mais on doit se demander la question pour quoi est ce qu'ils sont là. Ils sont là parce que le gouvernement refuse d'investir dans l'infrastructure. Alors ils sont devenus nécessaires. Alors, la question ne devient pas de s'en débarrasser, mais de trouver une façon de bien réglementer. Aussi il y a différents niveaux de privé. Il y a beaucoup de petites résidences de soins de longue durée qui sont des familles. Elles sont très belles, de très belles résidences. Il y a de grandes chaînes. Eux, ils ont de très bonnes résidences et ils en ont des moins bonnes. On a des résidences publiques qui sont horribles. On en a des très bonnes. Alors ce n'est pas aussi simple que le public / privé. Même au Québec, on a des résidences privées conventionnées, ce qui veut dire qu'ils reçoivent de l'argent du gouvernement. Et non conventionnés, aucun argent du gouvernement. Ces deux catégories-là sont très, très différentes aussi. Alors c'est une question complexe et on risque de rendre ça juste une question politique simpliste. Et on doit se demander s'il n'y avait pas de résidences privées aujourd'hui, est-ce que les soins seraient meilleurs ? Et la réponse à cette question c'est non. 

 

Vardit Ravitsky: Donc, pour toi, l'idéal serait d'avoir toutes les institutions dans le domaine public? 

 

André Picard: Si on commençait à neuf peut être, beaucoup de pays font cela, beaucoup de pays ont un mixte de résidence publique / privée. Je pense que la question "ownership" n'est pas importante. Il y a beaucoup, il y a 50 autres choses qu'on a besoin de régler avant de parler de qui est le propriétaire d'une résidence. Mais disons qu'on commençait à neuf aujourd'hui. Si on commençait à bâtir ce système à neuf, non, on n'a pas besoin de privés, on pourrait le faire comme notre système d'hôpitaux. Il n'a pas d'hôpitaux privés au Canada, tous les hôpitaux sont financés par le gouvernement, géré par des sociétés à but non lucratif, etc. Ça, c'est un bon système. On n'a pas besoin du privé. Mais une fois qu'il est là, la question devient, "Comment peut-on s'en débarrasser et est-ce que c'est nécessaire?" Etc.

 

Vardit Ravitsky: Il y a ce désir profond, que les gens appellent revenir à la vie normale. Et quand je pense aux personnes âgées, bien sûr, il y a le désir de voir ces petits enfants, de sortir, pour ceux qui sont en santés de voyager, de revenir à une vie sociale, mais d'après les descriptions que tu nous offres, ce n'est pas vraiment un désir de revenir à la vie d'avant. Donc, comment est-ce que tu vois l'avenir du Canada dans le contexte de nos approches envers les personnes âgées? 

 

André Picard: Oui, je pense. Ce n’est pas une question de revenir à la vie normale. C'est une question de comprendre ce que la pandémie nous a appris, ce qu'on devrait changer fondamentalement dans la façon dont on traite les aînés. Alors on doit investir beaucoup plus dans les soins à domicile, et quand on a des institutions, ces institutions devraient avoir l'air de maisons et non de prison. Oui, toutes les solutions existent. Ils existent au Canada. Alors on a de très bonnes résidences de soins de longue durée. Un exemple dans mon livre, c'est Sunnybrook. Sunnybrook est une résidence pour les vétérans de la Deuxième Guerre mondiale. C'est une population surtout d'hommes très âgés, en moyenne 96 ans. Ce n'est pas très beau à voir comme infrastructures, mais les soins sont vraiment exceptionnels. Et ce qu'ils font de spécial, c'est vraiment axé sur le patient. Et il y a beaucoup de résidences au Canada comme ça. Je pense que c'est ça qui me donne. Le plus d'espoir, c'est que l’on connaît très bien les solutions et on sait comment le faire. Et c'est faisable. C'est abordable. Sunnybrook c'est une institution publique qui est payée par le gouvernement. Ce n’est pas beaucoup plus cher que les autres. Ça, ça devrait nous donner l'espoir. 

 

Vardit Ravitsky: Je partage ton espoir merci beaucoup pour d'avoir éclairé la réalité et les solutions possibles pour nous. Merci beaucoup, André,. 

 

André Picard: Merci.

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Désinformation et mythes pendant la pandémie

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Tim Caulfield, professeur à la faculté de droit et à l’École de santé publique de l’Université de l’Alberta, et directeur de recherche du Health Law Institute de l’Université de l’Alberta, s’entretient avec Vardit Ravidsky pour discuter de la propagation de fausses informations sur les réseaux sociaux, et des façons pour contrer ce problème par le biais de l’action directe et de changements politiques.

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Tim Caulfield, professeur à la faculté de droit et à l’École de santé publique de l’Université de l’Alberta, et directeur de recherche du Health Law Institute de l’Université de l’Alberta, s’entretient avec Vardit Ravidsky pour discuter de la propagation de fausses informations sur les réseaux sociaux, et des façons pour contrer ce problème par le biais de l’action directe et de changements politiques.

 

 

 

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

Vardit Ravitsky : Pour la plupart d’entre nous, cette pandémie est la première. Elle a aussi donné lieu à un phénomène inédit dans les médias sociaux : jamais auparavant le monde n’avait fait face à une pandémie mortelle où presque chaque personne munie d’un téléphone intelligent peut débattre de la situation, promouvoir n’importe quelle théorie et joindre un vaste auditoire. Tim Caulfield, professeur à la faculté de droit et à l’École de santé publique de l’Université de l’Alberta, et directeur de recherche du Health Law Institute de l’Université de l’Alberta, a observé la situation avec fascination. 

Timothy Caulfield : Comme vous savez, Vardit, je travaille beaucoup en droit et de la santé et en politique scientifique. Je me concentre de plus en plus sur la façon dont la science, la santé et la pseudoscience sont représentées dans la sphère publique. Au sens large, je veux dire. Dans le contexte de la culture populaire, de la littérature scientifique, des médias sociaux. Mon équipe, une formidable équipe interdisciplinaire, fait un travail empirique sur ces questions. Elle élabore des politiques sur ces questions. Mais il y a un an, je n’avais aucune idée à quel point ça irait mal pendant la pandémie. J’avais le pressentiment que ça irait mal. Je parle de désinformation. Mais c’est pire que ce que j’avais prévu. C’est un énorme problème. Je crois que combattre la désinformation est devenu l’un des plus grands défis de notre époque. On dirait une hyperbole, mais je ne pense pas. Je ne pense vraiment pas que ce soit le cas. Regardez l’effet que la désinformation a eu, pas seulement dans le monde politique, tout le monde sait ce qui s’est passé, pas seulement dans le monde du marketing de la désinformation, mais regardez tout le mal que cause la désinformation depuis un an : des morts, des hospitalisations, une politique de santé et de science biaisée, sans parler de l’augmentation du chaos dans le domaine de l’information. C’est vraiment, je crois, l’un des plus grands défis de notre époque. 

 

Vardit Ravitsky : Je suis totalement d’accord. En ce moment, la désinformation tue. Ce n’est pas seulement un phénomène social indésirable. Ça tue. Alors, pour lancer notre conversation sur la désinformation et les moyens de la combattre, je voudrais d’abord vous faire entendre un extrait.

EXTRAIT de Président Trump dit prendre de l’hydroxychloroquine – YouTube

Beaucoup de bonnes choses ont été dites sur l’hydroxy. Beaucoup de bonnes choses. Vous seriez surpris du nombre de personnes qui en prennent, surtout les travailleurs de première ligne, avant de l’attraper. Beaucoup de ces travailleurs en prennent. Il se trouve que j’en prends. Il se trouve que j’en prends. J’en prends. De l’hydroxychloroquine. En ce moment même. J’ai commencé il y a quelques semaines. Parce que je crois que c’est bon, j’en ai entendu dire beaucoup de bien.

 

Vardit Ravitsky : Comment cet exemple illustre-t-il ce que peuvent faire les mauvaises informations et comment elles sont propagées? 

 

Tim Caulfield : Le simple fait d’entendre ces propos me met hors de moi. Je ne peux pas croire qu’un an s’est déjà écoulé depuis la diffusion de ce genre d’absurdités. C’est un excellent exemple de l’effet de la désinformation et de la façon dont de la diffuser. 

 

Il faut se rappeler que toute cette campagne sur l’hydroxychloroquine, ce que j’appelle le fiasco de l’hydroxychloroquine, a commencé par une petite étude préliminaire en France. Il y a donc cette étude, puis ces commentaires de Donald Trump et de quelques autres personnes bien connues comme Elon Musk. Le fiasco était né. À cause de cette déclaration, l’intérêt pour l’hydroxychloroquine est monté en flèche, et pas seulement auprès du public. Le nombre de prescriptions a augmenté de 200 %.  Il y a donc eu un réel effet négatif. Premièrement, cette déclaration a entraîné la perception erronée qu’il existait un médicament efficace contre la COVID. C’est faux. Deuxièmement, elle a causé une pénurie de ce médicament qui était utile pour certaines personnes ayant une indication clinique à cet effet, qui en ont réellement besoin. Et ce n’est pas tout, Vardit. La croyance en l’hydroxychloroquine a pris un courant idéologique. Qui aurait cru qu’un produit pharmaceutique comme l’hydroxychloroquine deviendrait un drapeau idéologique? Alors, si vous faites partie d’une certaine dérive idéologique, l’une des croyances auxquelles vous êtes supposé.e.s adhérer est que l’hydroxychloroquine est efficace contre la COVID. Le plus fascinant, c’est qu’on a maintenant des preuves solides que c’est faux grâce à des études cliniques, observationnelles. Ça ne fonctionne pas, d’accord? L’hydroxychloroquine n’est pas efficace contre la COVID. On peut l’affirmer catégoriquement maintenant. Malgré tout, à cause du fondement idéologique de l’histoire, de nombreuses personnes y croient encore.

 

Vardit Ravitsky : Elles y croient encore?

 

Tim Caulfield : Vardit, je reçois des courriels haineux à ce sujet. On pourrait même faire une expérience en direct, tout de suite. Je publierais quelque chose sur l’hydroxychloroquine dans mon fil Twitter et instantanément, des gens répondraient que cela fonctionne et me dirigeraient vers des études qui soutiennent leur position. Mais voici l’autre partie très importante dans l’affaire de l’hydroxychloroquine. C’est la démonstration de la propagation de la désinformation. On sait qu’il s’agit principalement, pas entièrement, mais principalement, d’un phénomène lié aux médias sociaux. D’abord, il y a Donald Trump qui en parle, alors toutes les personnes qui le suivent, même les personnes en marge de ce genre de mouvement idéologique, commencent à diffuser ce contenu. On voit bien à quel point les célébrités peuvent influencer l’opinion publique.

 

Vardit Ravitsky : C’est l’occasion idéale de vous demander de nous parler de votre projet #LaScienceDabord.

 

Tim Caulfield : Il y a seulement un an, nous avons reçu d’importantes subventions pour étudier comment se propage la désinformation sur la COVID. Je pense qu’il y a désormais suffisamment d’études menées sous différents angles méthodologiques pour affirmer avec assez de certitude qu’il s’agit principalement d’un phénomène lié aux médias sociaux. Les médias sociaux ont réellement un effet sur la propagation de la désinformation et sur la conviction des gens. Nous avons donc cru essentiel, absolument essentiel, de lancer un mouvement. Vardit, nous voulons que ce mouvement combatte la désinformation dans les médias sociaux. Exact. On veut s’attaquer à la source du problème. Twitter, Facebook, Instagram et bientôt Tik Tok aussi. On veut créer du bon contenu. On veut diffuser du bon contenu dans ces espaces. Et en plus, nous voulons vraiment créer un mouvement. Ce mouvement, dont #LaScienceDabord est le mot-clic, permet aux gens d’épouser l’idée de l’exactitude et de la crédibilité de l’information. Et nous savons que ce mouvement fonctionne. Donc, grâce à des études que nous avons menées et que d’autres personnes ont menées, comme Gordon Pennycook de l’Université de Regina, nous nous assurons de diffuser un message fondé sur des faits. Autrement dit, les stratégies qu’on utilise pour combattre la désinformation s’appuient sur des données probantes. Le contenu est donc scientifiquement fiable et le message s’appuie sur les meilleures preuves existantes. Voilà ce qu’on essaie de faire. C’est une belle réussite, mais on n’en a pas beaucoup entendu parler. On a commencé à la fin janvier. On compte déjà des dizaines de millions d’interactions. Des milliers de personnes se sont jointes à l’équipe. C’est formidable. 

 

Vardit Ravitsky : Donnez-nous un exemple d’une bonne façon et d’une mauvaise façon de combattre la désinformation dans les médias sociaux. Êtes-vous, par exemple, en faveur d’une complète transparence? Faut-il plutôt reformuler l’information pour la rendre plus digeste? Qu’est-ce qui fonctionne? 

 

Tim Caulfield : Déboulonner un mythe fonctionne et nous avons des preuves concrètes pour appuyer nos propos. Je pense qu’on devrait voir ce mouvement comme une intervention de santé publique, parce qu’on veut avoir un effet sur toute la population. À quoi ressemble une bonne opération de déboulonnement? Il faut utiliser de bonnes sources, des sources crédibles d’informations et se rabattre sur des éléments de preuve. Et il y a des preuves qui suggèrent que ça fonctionne vraiment. On parle de consensus scientifique. Il y a des travaux dans le domaine du changement climatique, des travaux sur les OGM, des travaux sur l’hésitation à se faire vacciner qui suggèrent que cela peut avoir un effet. Deuxièmement, vous voulez parler des ruses employées dans le discours qui sert à promouvoir la désinformation. Qu’est-ce que j’entends par là? Voici un exemple. Quelqu’un dit : « Tim, j’ai entendu dire que ces vaccins peuvent changer notre ADN ». Encore mieux : « Tim, j’ai entendu dire que les vaccins rendent infertiles. » On pourrait répondre « Il n’y a aucune preuve de ça. Voici au contraire un consensus scientifique de telles organisations scientifiques ou professionnelles. Et en passant, la personne qui propage cette fausse information rapporte une anecdote, un témoignage. Elle déforme le risque. Elle s’appuie sur une théorie du complot. » En réunissant ces arguments, on peut vraiment avoir un effet. L’autre chose très importante selon moi, c’est faire preuve de gentillesse, d’empathie, d’humilité. Et ce n’est pas toujours facile. Il faut toujours s’adresser au grand public. C’est lui qui nous écoute, pas ces négationnistes extrémistes. Ce qui nous ramène à votre question : « Comment s’y prendrait-on mal? » La mauvaise façon de s’y prendre serait de débattre avec un troll dans les médias sociaux, par exemple, de le nourrir. C’est une perte de temps d’un point de vue psychique. C’est encourager un tel individu. Il faut penser au grand public. Par exemple, on peut se servir de déclarations absurdes provenant de complotistes, de négationnistes et de célébrités comme d’un phénomène de pop culture pour parler de ce que dit la science, la vraie. Il ne faut pas se laisser emporter dans le vortex. Il faut s’adresser au grand public ou à un groupe de gens en particulier. Il ne faut pas perdre son temps avec les négationnistes.

 

Vardit Ravitsky : Nous allons parler de médias sociaux dans un instant. Mais d’abord, j’aimerais vous poser une question personnelle. Vous avez parlé de courriels haineux, de trolls. Comment faites-vous pour travailler dans un domaine si volatil, explosif, qui vous expose, vous et votre famille, à tant d’attention du public et à tant de haine?

 

Tim Caulfield : C’est ridicule, n’est-ce pas, que les gens soient si divisés, qu’ils investissent tant d’énergie dans la haine? Je reçois une quantité ridicule de courriels haineux. J’ai encore reçu une menace de mort il y a quelques jours. On peut même se faire poursuivre par une personne anti-vaccin. C’est épuisant. Heureusement, ça n’arrive pas à tout le monde, mais c’est épuisant. Je crois que cela illustre un point vraiment très important, quelque chose sur quoi je prévois me pencher prochainement : l’importance de soutenir les personnes qui font ce travail, qui luttent contre la désinformation. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a d’ailleurs demandé aux scientifiques et aux médecins de lutter contre la désinformation en plus grand nombre. Les gouvernements l’ont fait, les institutions l’ont fait. Mais si on demande aux scientifiques et aux médecins de se mobiliser,  il faut les soutenir. Autrement dit, les universités et les hôpitaux, par exemple, devraient encourager, récompenser les personnes qui se battent. Il faut que ce soit partie intégrante de leur travail. Il faudrait donc les former en conséquence. Vous et moi avons coécrit un texte sur la communication scientifique pour la Société royale du Canada. C’était l’une de nos recommandations, je crois. Que plus de spécialistes se prononcent publiquement. En fait, nous avons même écrit que c’était la responsabilité de la communauté scientifique, dans une certaine mesure, de lutter contre la désinformation. Mais nous avons également déclaré, dans ce rapport, que les institutions avaient la responsabilité de les appuyer dans leur travail.

 

 

Vardit Ravitsky : Tim, parlons un peu de médias sociaux, car vous y faites souvent allusion lorsqu’il s’agit de propagation de désinformation. D’après vous, quel rôle les sociétés de médias sociaux devraient-elles jouer dans cette affaire? En font-elles assez? Ont-elles une responsabilité morale ici? Qui devrait jouer un rôle d’arbitre? Doit-on craindre la censure et la perte de liberté d’expression, ou est-ce que ces plateformes où tout est permis sont-elles si dangereuses qu’il faut les encadrer? 

 

Tim Caulfield : Wow. C’est un sujet très, très complexe. Vous savez, aux tout débuts, j’ai dit que cette propagation de désinformation était l’un des plus grands défis de notre époque. Je pense que ce que vous venez tout juste de décrire est l’un des enjeux politiques de notre ère : les plateformes de médias sociaux en font-elles assez contre la désinformation? Je pense que la réponse courte est non. La bonne nouvelle, c’est que chaque plateforme reconnaît maintenant le rôle prédominant qu’elle joue dans cette question. On voit donc naître de plus en plus de mesures, dans toutes les plateformes. Récemment, par exemple, Facebook a pris des mesures musclées contre la désinformation sur les vaccins. Elles doivent faire quelque chose, non? Elles doivent agir, car c’est par elles que circulent les fausses informations. Ensuite, il faut se demander si les stratégies employées sont efficaces. En ce moment, elles ratissent large : envoi d’avertissements, signalement de désinformation, renvois vers d’autres sources d’information. Elles nous invitent, Twitter le fait aussi, à bien lire l’article avant de le publier. Ce sont toutes de bonnes mesures. Et les travaux indiquent que dans l’ensemble, elles portent fruit. Mais attention. Il faut creuser plus loin. Y a-t-il des conséquences imprévues? Par exemple, pour reprendre d’intéressants travaux de mon collègue Gordon Pennycook, le fait de signaler une information comme étant de la désinformation pourrait – il faut faire plus d’études à ce sujet – involontairement faire paraître une information non signalée comme étant plus exacte qu’elle ne l’est réellement. Vous me suivez? Je crois qu’il faut faire d’autres études empiriques sur ce type d’interventions dans les médias sociaux pour savoir si elles fonctionnent vraiment et quels sont les inconvénients potentiels. On me pose beaucoup de questions sur le sociomuselage et la gestion des plateformes. À court terme, elles sont souhaitables, je crois. Et puis il y a tous ces beaux mots qu’on entend partout, vous savez, la liberté d’expression, la censure. Mais ce n’est pas une bonne représentation de ce qui se passe. Ce n’est pas un droit fondamental, être sur Twitter! Ce qui est fascinant, c’est que les gens revendiquent ce droit. La censure, la liberté d’expression. Ce que j’aimerais voir, mais ça n’arrivera pas, c’est une sorte d’entité de surveillance indépendante qui serait responsable de surveiller le comportement des gens dans les médias sociaux. Il faudrait que ce soit une entité d’une envergure internationale. Mais c’est impossible, n’est-ce pas? Alors, je ne sais pas quelle est la bonne réponse. Je ne sais pas parce qu’il y a un problème de liberté d’expression ici, en quelque sorte. Nous demandons à des sociétés privées de décider de ce que l’on voit. Oui, il y a d’autres plateformes impliquées aussi, et non, cela n’aiderait pas vraiment la liberté d’expression dans le contexte des questions de charte. Ce sont de grandes questions, je ne suis pas certain de savoir comment les résoudre.

 

Vardit Ravitsky : Vous avez parlé d’études empiriques montrant le rôle important que jouent les médias sociaux en général dans la propagation de désinformation. Vous avez aussi mentionné les « superpropagateurs », n’est-ce pas? Les célébrités, les politicien.ne.s, les personnes omniprésentes qui jouissent d’une visibilité disproportionnée. Certaines personnes ont proposé de bannir les superpropagateurs des plateformes de médias sociaux. Que pensez-vous de cette proposition?

 

Tim Caulfield : Mon cœur dit oui, faites-le, je vous en supplie! C’est ce que mon cœur dit. Et je crois qu’il existe des preuves montrant que ça fonctionne, n’est-ce pas? Ça fonctionne. Ça ralentit la propagation de fausses informations. On l’a vu avec le sociomuselage de Trump sur les plateformes. La propagation a ralenti. Dans l’ensemble, si le but est de ralentir la propagation de désinformation, c’est probablement efficace, surtout auprès des personnes indécises, celles qui se trouvent au centre. Je veux dire par là que les personnes qui hésitent à se faire vacciner suivront leur exemple. Ce ne sont pas des négationnistes extrémistes, de toute évidence, qui se trouvent dans un cercle vicieux. Les personnes qu’on devrait viser avec notre message, ce sont plutôt celles de centre droit, car elles sont mobiles. Quand on donne une tribune à quelqu’un, les personnes qui en profitent le plus sont justement celles du centre. Elles ne verront pas tant de fausses informations circuler parce que la plateforme ne permet pas un flot de telles informations au quotidien. Ce sont elles qu’on vise, en fait. Ce qui m’amène aux inconvénients potentiels des plateformes. Au risque de me répéter, il nous faut des preuves empiriques pour voir si c’est vrai. Je pense qu’il est logique de craindre que la polarisation s’accentue, que ces individus aillent sur différentes plateformes et que la chambre d’écho qui en résulte soit vraiment intense. Dans un tel cas, les négationnistes extrémistes se cloîtreront dans des chambres d’écho. Ces gens vont sentir que le sociomuselage prouve la théorie du complot qu’ils défendent. Ils vont dire : « Vous voyez? Ils nous musellent! C’est la preuve qu’il existe bel et bien un complot! » Je pense que le problème est là. Pourquoi, alors, est-ce que je dis que dans l’ensemble, c’est bénéfique? Parce que c’est très difficile de changer les points de vue, comme je disais plus tôt, de ces négationnistes extrémistes. Par conséquent, si on veut faire de la lutte contre la désinformation une intervention de santé publique, alors oui, le sociomuselage est la bonne façon de s’y prendre. Mais je crois qu’il faut parler de ses implications à long terme en matière de politique. Est-ce réellement la bonne façon de réagir à la désinformation? Mais à court terme, en plein cœur d’une pandémie, pour encourager la vaccination, je crois que oui. 

 

Vardit Ravitsky : C’est vraiment intéressant, ce que vous venez de dire. Au moins, maintenant, tout le monde peut se trouver dans le même espace, tout le monde peut se parler. Le contraire serait effectivement très effrayant. Si chaque groupe avait sa propre plateforme, si plus personne ne se parlait, ce serait un scénario très sombre. Un grand merci de tous ces commentaires. Ce fut très enrichissant et fascinant à la fois. Merci, Tim. 

 

Tim Caulfield : Merci beaucoup. Et merci pour tout ce que vous faites. 

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Les mesures de santé publique pendant une pandémie

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Steven Hoffman, professeur à l’Université York et directeur scientifique de l’Institut de la santé publique et des populations à l’IRSC, discute avec Vardit Ravitsky des défis reliés à la création de politiques publiques en pleine pandémie et de quelques pistes à explorer pour mieux se préparer à affronter la prochaine.
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Steven Hoffman, professeur à l’Université York et directeur scientifique de l’Institut de la santé publique et des populations à l’IRSC, discute avec Vardit Ravitsky des défis reliés à la création de politiques publiques en pleine pandémie et de quelques pistes à explorer pour mieux se préparer à affronter la prochaine.

 

 

 

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

 

Vardit Ravitsky : Quelles leçons peut-on tirer de la pandémie de COVID-19? Comment mettrons-nous cette expérience à profit lorsqu’une nouvelle pandémie frappera? Saurons-nous esquiver les coups ou allons-nous trébucher contre l’imprévu et l’imprévisible? Stephen Hoffman, professeur en santé mondiale, en droit et en sciences politiques à l’Université York et directeur scientifique à l’Institut de la santé publique et des populations (ISPP) des IRSC, se penchait déjà sur ces questions avant le début de cette pandémie. 

 

Steven Hoffman : Mes recherches sont beaucoup axées sur la façon dont les pays travaillent ensemble pour contrer les menaces qui pèsent sur la santé à l’échelle transnationale, comme les pandémies ou la résistance aux antimicrobiens. À certains égards, une grande partie de la recherche que j’ai menée pendant les dix dernières années a été en vue de se préparer pour cette future pandémie, qui allait inévitablement nous affecter et qui nous affecte depuis plus d’un an maintenant. Par contre, je dois dire que j’avais beaucoup plus de plaisir à rechercher les pandémies avant d’avoir à le faire en pleine pandémie. Mais c’est un sujet que nous pourrons approfondir pendant l’entrevue.

 

Vardit Ravitsky : Je me souviens des grands débats d’actualités de l’année dernière, où l’on se demandait : « Le port du masque, est-ce qu’on est pour ou contre ? » C’était la question de l’heure à ce moment, alors qu’on s’habituait à vivre dans ces nouvelles circonstances. Pourquoi est-ce que ça a pris autant de temps avant qu’on implémente une politique claire sur le port du masque ? Qu’est-ce que cela nous dit sur ce mélange disparate de science et de décisions politiques ?

 

Steven Hoffman : Eh bien, je crois que tout le débat qui entoure le port du masque et qui cherche à savoir si l’ensemble de la population devrait ou non porter le masque non médical fera partie de ces situations qui vont perdurer, et il nous permettra de porter un regard rétrospectif et de mieux évaluer notre façon de prendre des décisions lors de situations d’urgence. La raison pour laquelle je soulève ce point, c’est parce qu’aujourd’hui, bien sûr, on peut se permettre de prendre du recul, de regarder dans le rétroviseur et de porter un jugement sur, par exemple, notre décision de porter ou non le masque dès le début de la pandémie. Mais bien sûr, en prenant ces décisions, les dirigeants et les dirigeantes de la santé publique n’ont pas de boule de cristal dans laquelle regarder pour savoir ce que l’avenir réserve.

 

Vardit Ravitsky : Pouvez-vous nous en dire plus sur la science derrière l’hésitation que plusieurs gouvernements dans le monde ont éprouvée au départ, quand venait le temps de relayer de l’information à leurs populations ?

 

Steven Hoffman : Il faut savoir qu’avant le 21 février 2020, rien n’indiquait qu’une personne présymptomatique ou asymptomatique pouvait transmettre la COVID-19. Et en sachant cela, le point de donnée essentiel, l’information clé qui aurait permis à un dirigeant ou à une dirigeante de la santé de recommander à la population générale de porter le masque non médical, aurait été l’existence de preuves tangibles d’une propagation pré ou asymptomatique du virus. Et nous avions cette crainte que, en recommandant le port du masque non médical, la santé publique ait pu potentiellement causer plus de mal que de bien. Porter un masque, c’est donner l’occasion aux gens de le toucher, de transporter le virus sur leurs mains et d’ensuite les porter à leur visage. Donc, demander à la population de porter un masque non médical comporte son lot de risque.

Mais bien sûr, ces risques en valent la chandelle quand nous abordons la question de transmission asymptomatique ou présymptomatique. Avant le 21 février 2020, nous n’avions pas de signes d’une telle transmission. Et c’est lors de cette journée que certains éléments publiés dans le Journal of the American Medical Association ont mis en évidence, pour la première fois, qu’une transmission présymptomatique ou asymptomatique du virus était possible. Dans les faits, nous avons dû attendre jusqu’au 4 mai 2020 pour qu’un article paru dans le Emerging Infectious Diseases signale que, OK, nous sommes maintenant confrontés à une accumulation de signes qui évoquent la possibilité d’une transmission présymptomatique ou asymptomatique du virus. D’ailleurs, deux semaines plus tard, l’Agence de la santé publique du Canada a émis des recommandations, fondées sur cette même accumulation de preuves. Mais en réalité, ce n’est qu’un mois plus tard, après que l’Agence de la santé publique du Canada ait commencé à recommander le port du masque par la population générale, que le journal médical The Lancet a publié une étude définitive qui confirmait que cette mesure était bel et bien efficace dans des situations particulières.

Tout ça pour dire que c’est évident que les données évoluent, et c’est impossible d’obtenir tous ces renseignements à l’avance. Nous devons prendre des décisions et elles ont toutes des pour et des contre. Enfin, nous voulons nous assurer que les dirigeants et les dirigeantes de la santé publique prennent les meilleures décisions possibles selon les informations à leur portée à ce moment.

 

Vardit Ravitsky : Alors Steven, avec du recul, est-ce que vous pensez que les autorités de santé publique du Canada ont réagi rapidement, dans l’ensemble, en prenant ces décisions fondées sur des faits ? Nous en avions tant à prendre, et la science continuait d’évoluer. Je sais que c’est injuste de regarder vers l’arrière et de porter un jugement, mais de façon générale, est-ce que vous croyez que nous avons bien réagi compte tenu de l’évolution de ces données ?

 

Steven Hoffman : Et bien, je ne crois pas qu’il existe de réponse parfaite contre une pandémie. Et même lorsqu’on prend le temps d’examiner ce que d’autres pays dans le monde ont fait, et j’en ai examiné beaucoup, personne n’a élaboré un plan de réponse parfait. Chaque pays peut faire mieux… Et aurait dû faire mieux, si seulement ils s’étaient préparés davantage. En réalité, je crois que si on considère le travail fait avant la pandémie, et comment on s’y est préparé ou non, la réponse du fédéral a été plutôt bonne dans l’ensemble. Les recommandations de la santé publique ont évolué au fur et à mesure que les données ont évolué. Je crois que le plan d’intervention canadien s’est vraiment écroulé au niveau provincial. Au cours des dernières années, plusieurs provinces ont réduit leurs financements du budget en santé publique. Et dans le cas de l’Ontario, ça s’est produit littéralement une journée avant que la pandémie soit signalée à l’Organisation mondiale de la santé. Il y a eu l’entrée en vigueur d’une importante compression budgétaire au niveau du réseau de santé publique de l’Ontario. Dans les faits, le service de santé publique et les unités de santé publique de la province venaient tout juste de congédier une grande partie de leur effectif. Et on attend que ceux et celles qui travaillent toujours là mettent en place un plan d’intervention héroïque, en ayant accès à beaucoup moins de ressources et tout juste après avoir dit au revoir à plusieurs de leurs collègues. Ensuite, en tant que société, nous les critiquons pour leur manque de préparation. Le moment où l’on décide si un gouvernement est assez bien préparé pour affronter une pandémie, ce n’est pas pendant qu’elle a lieu. C’est lorsque les législatures prennent des décisions relatives aux budgets. C’est le facteur numéro un qui nous permet de prédire si nous sommes assez prêts pour faire face à une pandémie. Notre niveau de préparation est proportionnel au montant que nous investissons dans notre système de santé publique. Je crois que tout le monde est d’accord pour dire que les importantes compressions budgétaires survenues avant cette pandémie étaient certainement une erreur. Mais, une fois encore, c’est seulement avec du recul qu’on peut se permettre de dire cela. Nous savons qu’un des meilleurs investissements qu’un gouvernement puisse réaliser, c’est d’augmenter le financement dans la santé publique. Ces diminutions budgétaires nous empêchent non seulement de récolter les bénéfices du système, mais elles nous indiquent aussi que nous ne serons pas en mesure de réagir aussi rapidement au genre de situation d’urgence comme la COVID-19 qui, comme nous le savons, risque d’arriver de plus en plus fréquemment à l’avenir.

 

Vardit Ravitsky : Oui, maintenant c’est difficile de digérer toutes vos informations sur les compressions du budget de la santé publique qui nous apparaissent, comme vous le dites, en prenant du recul. Mais pour faire suite à ce que vous venez de dire, j’ai entendu plusieurs expert.e.s de la santé publique affirmer que ce ne sera probablement pas la dernière pandémie que nous allons voir de notre vie. Personne ne veut penser à ça maintenant. Nous vivons une sorte de fatigue liée à la pandémie, nous avons subi des pertes tragiques et tout ce que nous voulons c’est de laisser tout ça derrière nous. Mais c’est possible que dans un futur rapproché, nous devions faire face à une autre crise comme celle-ci. Que recommandez-vous au gouvernement canadien, que ce soit au niveau fédéral ou provincial, ainsi qu’aux gouvernements à l’étranger, en ce qui concerne la préparation aux pandémies et à l’avenir ?

 

Steven Hoffman : Une chose qui est sûre, c’est qu’aucune société au monde n’a investi de manière suffisante en prévision d’une pandémie. Personne n’était prêt pour la COVID-19. Mais ce manque de préparation était un choix délibéré, parce que ce n’est pas comme si nous ignorions que ça allait arriver. En effet, je me rappelle que quelques années avant l’apparition de la COVID, nous étions en train de « célébrer » le 100e anniversaire de la pandémie de la grippe espagnole. Et bien sûr, je mets « célébrer » entre guillemets, parce que c’est un évènement qui a entraîné des pertes massives de vies humaines et des conséquences radicales pour les gens partout dans le monde, à une échelle semblable à ce que nous voyons maintenant avec la COVID-19. Alors nous savions que quelque chose du genre allait se reproduire. Et comme nous travaillons et nous échangeons de plus en plus dans le monde entier, nous sommes davantage interconnectés à ce niveau. Nous savons que ces évènements vont avoir lieu plus fréquemment. Je crois que ce qui est tragique dans tout cela, c’est que quelques années seulement avant l’arrivée de la COVID, nous avons eu un petit aperçu des conséquences dramatiques d’une pandémie. Et je fais référence à l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest.

 

Vardit Ravitsky : Oui

 

Steven Hoffman : Cet évènement aurait dû retentir comme un signal d’alarme et nous forcer à nous préparer, car bien que l’éclosion soit contenue majoritairement dans l’Ouest de l’Afrique, elle a causé des ravages immenses dans les pays affectés. Elle nous a laissés entrevoir ce qui pouvait se passer si le virus de la prochaine pandémie était quelque peu différent (plus contagieux, ou transmissible par voie aérienne), et ça nous a montré à quel point ce scénario serait éprouvant en temps réel. Et je me souviens qu’après cette éclosion, j’ai écrit un texte éditorial dans un journal, et le titre était How many People Must Die Before We Start Treating Pandemics Seriously? La conclusion c’était « Bon, 15 000 morts reliées à l’Ebola dans l’Ouest de l’Afrique ? Ce n’est pas assez pour déclencher une opération mondiale pour se préparer à la prochaine pandémie ». Mon seul espoir, c’est que les millions de personnes qui ont perdu la vie lors de la COVID-19 s’avèreront être une motivation suffisante pour mettre le monde en action. Et cette activation serait, selon moi, le meilleur monument solennel et la meilleure façon de rendre hommage à toute cette mort, qui aurait facilement pu être évitée si seulement nous nous étions mieux préparés. La meilleure façon d’honorer ceux et celles qui ont été affecté.e.s et qui ont perdu la vie lors de cette pandémie, c’est d’être mieux préparés pour affronter la prochaine. Et ça, c’est un choix que nous devons faire.

 

Vardit Ravitsky : C’est si déchirant comme façon de présenter les dernières années, et c’est aussi très frustrant dans un sens. Mais nous devons nous rappeler que derrière chaque décision de financement, nous puisons les ressources dans une direction pour mieux les redistribuer dans une autre.

 

Steven Hoffman : Je crois qu’un des plus grands défis à surmonter, d’un point de vue politique, c’est qu’on ne peut jamais savoir si nos investissements vont porter fruit pendant cet échéancier politique. Et je pense que ce qu’on voit essentiellement, du moins dans les régimes démocratiques, c’est que chaque leader ne fait que prier pour que cette pandémie n’ait pas lieu lors de son mandat, pour qu’elle se produise quand la prochaine personne accèdera au pouvoir. C’est pourquoi nous sous-investissons de façon importante dans la gestion de ce risque.

 

Vardit Ravitsky : Absolument. Je travaille aussi dans une école de santé publique et nous disons toujours que le succès, dans notre domaine, c’est quand rien ne se produit et qu’ensuite, d’un point de vue politique, nous n’avons rien à rapporter. Être bien préparé en matière de santé publique, ça signifie ne perdre aucune vie humaine et peut-être même réussir à stopper la pandémie avant même qu’elle n’ait commencé. C’est tout un défi pour notre domaine, n’est-ce pas ?

 

Steven Hoffman : Exactement. Non, je suis d’accord avec vous. Et une des choses qui vient me chercher, c’est toute cette rhétorique au niveau provincial, qui prône une sorte de réduction des formalités ou des services administratifs, pour ensuite acheminer ces ressources financières aux lignes de front, aux hôpitaux et aux autres endroits de ce genre. Et bien sûr, nos hôpitaux ont besoin d’investissements, en fonction de leurs besoins. Mais vous savez, je crois que les gens ne réalisent pas que ces services administratifs, ce sont les épidémiologistes et les services de traçage de contacts qui nous permettent de mettre en place des plans solides pour faire face à la prochaine pandémie… Et alors, au cours des dernières décennies, les gouvernements ont fait des efforts systématiques pour réduire ces budgets et l’argent alloué à ces services. Et comme vous avez dit, si avoir du succès c’est n’avoir rien à rapporter, alors politiquement, si l’on se base sur les systèmes que nous avons créés, cela devient très difficile de défendre ces investissements. Et c’est un problème.

 

Vardit Ravitsky : Cela fait partie de notre travail, à vous et moi, de garder ce débat sur la place publique, de sensibiliser la population et les politicien.ne.s sur les ramifications de ces décisions budgétaires. Parlons maintenant de la solution : les vaccins. Nous sommes au beau milieu d’une campagne de vaccination. Nous aimerions connaître votre opinion : en tant qu’épidémiologiste qui opère à l’échelle mondiale, que pensez-vous de la campagne de vaccination et du déploiement des vaccins ici au Canada, et comment comparez-vous notre façon de faire avec celle des autres pays ?

 

Steven Hoffman : C’est évident que la distribution des vaccins au Canada ne s’est pas déroulée aussi rapidement que la population l’aurait souhaité. Je crois que l’insuffisance des capacités mondiales de production, c’est un problème soulevé par des gens qui, comme moi, ont mené des recherches sur les pandémies. Et toute la question de nationalisme vaccinal que nous voyons actuellement dans le monde, où chaque pays fait ses propres démarches et agit selon ses propres intérêts, était déjà écrite dans les livres d’histoire. C’est évident que c’est ce qui allait se produire parce que, d’un point de vue politique, ça devient très difficile d’adopter une approche mondiale alors que nous élisons les personnes au pouvoir à l’échelle nationale. Et pourquoi est-ce qu’un pays producteur de vaccin serait d’accord pour les exporter avant même d’avoir vacciné toute sa population ? On avait déjà prédit ces enjeux, et nous savions que cette situation allait devenir un problème. Ceci étant dit, juste parce que le problème existe, cela ne veut pas dire que la solution existe aussi. Et vous savez, ce qui est vraiment triste dans toute cette situation, c’est que ce serait vraiment dans notre intérêt d’opter pour une approche mondiale en ce qui a trait à la vaccination, surtout à cause de l’émergence de nouveaux variants préoccupants. Le virus évolue, et plus il évolue, plus nous faisons face à un risque d’échappement immunitaire. Ce que je veux dire par ça, c’est que tous les vaccins, les diagnostics ou les autres techniques sur lesquelles on s’appuie pour combattre ce virus pourraient, plus le temps avance, ne plus se montrer efficaces. Déjà, on constate avec les nouveaux variants repérés pour la première fois au Royaume-Uni et en Afrique du Sud que les vaccins existants se révèlent moins efficaces comparativement au virus original. On voit que c’est un vrai défi à surmonter. Par contre, cela signifie que nous devons approcher ce problème de manière internationale. Et le fait que la plupart des pays riches estiment devoir vacciner l’ensemble de leur population avant que les pays plus défavorisés n’aient la chance d’offrir le vaccin à leurs professionnel.le.s de la santé ou à ceux et celles qui, comme les personnes âgées, sont le plus à risque de mourir de la COVID… Non seulement cette façon de faire met en évidence les failles d’un système déficient et d’une gouvernance mondiale dysfonctionnelle à ce niveau, mais en plus elle n’agit pas dans le meilleur intérêt de quiconque, car le virus ne fait que continuer à circuler. Il va continuer de changer et de subir des mutations, et pendant ce temps nous augmentons le risque d’échappement immunitaire. Ce scénario n’est pas favorable pour personne, même pour tous ceux et celles qui habitent dans des pays plus favorisés.

 

Vardit Ravitsky : Steven, j’ai entendu un témoignage aux Nations Unies qui m’est allé droit au cœur. On y disait que l’Histoire nous jugera, que les générations futures regarderont ce moment historique et notre réponse au niveau mondial, à savoir si nous avions tourné le dos aux sociétés les plus vulnérables et à ceux et celles qui disposent de moins de ressources, ou si nous nous sommes plutôt serré les coudes et avions agis avec solidarité. Et ce sont nos enfants et nos petits enfants qui jugeront nos décisions de façon éthique. Que pensez-vous de cela ?

 

Steven Hoffman : Je crois que nous serons jugés sévèrement sur plusieurs facettes de notre réponse à cette pandémie. Mais je crois que nous serons jugés le plus sévèrement sur les vaccins, et sur la façon dont cette technologie extraordinaire n’a pas été rendue accessible à tous et à toutes de manière équitable, parce qu’en ce moment, ce n’est pas équitable. Et cette distribution ne fera qu’exacerber le problème. Je crois, d’une part, que quand vient le temps de développer le vaccin, je deviens tout excité, et je suis excité à l’idée que, OK, grâce à la science, nous allons pouvoir résoudre toute une gamme de défis mondiaux auxquels nous faisons face, comme les changements climatiques, l’armement, la gestion de l’espace extra-atmosphérique, le plastique dans les océans… Nous pouvons régler ces dossiers difficiles, et la science sert de porte d’entrée pour y arriver. Mais lorsque l’on pense à l’accès aux vaccins, c’est assez déprimant. Est-ce que c’est le genre de monde que nous créons pour nous-mêmes et pour notre avenir ? Parce que si oui, nous nous avérons incapables de résoudre ces autres défis gigantesques qui nous attendent. Je crois que le seul point positif, c’est qu’il n’est jamais trop tard pour nous écarter de cette voie très dangereuse du nationalisme vaccinal, avant même de penser au meilleur intérêt de tout le monde. Au lieu, nous pouvons encore prendre un virage vers une voie qui prône la solidarité, l’égalité et l’équité dans le monde. Et mon seul espoir, c’est que nous décidons d’emprunter cette voie et que nous nous éloignons de l’autre plus dangereuse. Non seulement cette option est meilleure, mais elle est aussi plus sécuritaire et elle nous avantage tous et toutes.

 

Vardit Ravitsky : Merci pour ce message rempli d’optimisme et d’espoir. C’est agréable de pouvoir terminer sur une note positive et envisager que c’est encore possible pour nous d’aller vers la bonne voie. Merci beaucoup, Steven. Ça a été un grand plaisir de vous parler aujourd’hui.

 

Steven Hoffman : Merci beaucoup Vardit.

Date

Espaces de courage : déclaration d’engagement à l’action

Summary
Valerie Pringle: The COVID-19 pandemic showed us how vulnerable we all are to the sudden emergence of a new and powerful virus, but it also showed that some of us are more vulnerable than others because of the way our society treated their communities before the pandemic. Over a year ago, the Pierre Elliot Trudeau Foundation established its COVID-19 IMPAC Committee to examine this situation and propose solutions to the problems communities across the country are facing. The committee is now presenting its findings through the Commitment to Action Declaration, which is a published document and a newly released podcast series that features one on one discussions with its members. Our guests work on the committee, raised many issues, Canada and in fact, the rest of the world must address. Let me introduce our panel. Vardit Ravitsky is 2020 Fellow and chair of the COVID-19 Impact Committee.
Sections
COVID Declaration podcast episode FR

 

avec Valerie Pringle, Beverley McLachlin, Eric Meslin and Vardit Ravitsky

 

Beverley McLachlin, ancienne juge à la Cour suprême du Canada, Vardit Ravitsky, professeure à l’Université de Montréal, et Eric Meslin, président du Conseil des académies canadiennes, se joignent à Valerie Pringle pour discuter de la Déclaration élaborée par le Comité sur les impacts de la COVID-19.

 

 

TRANSCRIPTION DE L'ÉPISODE

 

Valerie Pringle : La pandémie de COVID-19 a montré notre grande vulnérabilité collective face à l’émergence soudaine d’un virus nouveau et puissant, mais aussi certaines inégalités sociales dans cette vulnérabilité à cause de la façon dont notre société traitait ces groupes avant le début de la pandémie. Il y a plus d’un an, la Fondation Pierre Elliot Trudeau a mis sur pied le Comité sur les impacts de la COVID-19 dont la mission est d’observer la situation et de proposer des solutions aux problèmes auxquels les communautés du pays sont confrontées. Le comité présente maintenant ses conclusions dans sa déclaration d’engagement à l’action, et a publié un document et une toute nouvelle série de balados mettant en vedette des discussions en tête-à-tête avec ses membres. Nos invité.e.s, qui siègent au comité, ont soulevé de nombreux problèmes desquels le Canada et le reste du monde doivent s’occuper. Laissez-moi vous les présenter. Vardit Ravitsky est fellow 2020 et présidente du Comité sur les impacts de la COVID-19.

 

Vardit Ravitsky : Bonjour, Valerie. Très heureuse d’être là. 

 

Valerie Pringle : Beverley McLachlin, mentore 2020.

 

Beverley McLachlin : Bonjour. Très heureuse d’être avec vous aujourd’hui. 

 

Valerie Pringle : Et enfin, Eric Meslin, aussi mentor 2020. 

 

Eric Meslin : Heureux d’être là, Valerie, merci beaucoup. 

 

Valerie Pringle : Je crois que la citation suivante résume bien le défi qui nous est lancé dans la déclaration : « Notre monde post-COVID ne devrait pas être un retour à la “normalité” d’avant. » Selon vous, qu’est-ce qui domine la liste des choses appartenant à la normalité d’avant vers lesquelles nous ne devrions pas revenir, et pourquoi? Par quoi devrait-on commencer? Eric, allez-y d’abord. 

 

Eric Meslin : Merci, Valerie. Je crois que de toute évidence, il ne faut pas revenir à la normalité d’avant où les centres de soins et les établissements de soins de longue durée manquaient gravement de financement, de personnel et de préparation face à des crises comme la COVID-19 et, comme la pandémie l’a montré, où régnaient toutes sortes de problèmes d’accès à des soins de qualité, notamment pour les aîné.e.s. Il était évident, à mesure que la COVID-19 prenait de l’ampleur, que ces problèmes n’étaient pas seulement des points chauds d’un point de vue épidémiologique, mais qu’ils exposaient la fragilité, les failles d’un système qui, pendant trop d’années, avait été négligé, avait peut-être passé sous le radar. J’espère sincèrement que nous ne reviendrons pas à ce genre de normalité. 

 

Valerie Pringle : Vardit. 

 

Vardit Ravitsky : Je suis totalement d’accord avec Eric, et pour renchérir sur la question des groupes très vulnérables de notre société, la déclaration indique que « l’on reconnaît la grandeur d’une société à la façon dont elle traite ses citoyens les plus faibles. » La pandémie a mis en lumière la façon dont des années de discrimination, de racisme systémique et de désavantages socioéconomiques ont marginalisé ces groupes et les ont placés dans une situation où la pandémie a eu des conséquences beaucoup plus graves pour eux. Nous avons vu les chiffres. On pense bien sûr aux Autochtones qui souffrent d’un manque de financement pour des besoins essentiels comme l’hébergement et l’eau potable, ce qui augmente le taux d’autres maladies, les rendant encore plus vulnérables à la COVID. Mais j’aimerais souligner que d’autres groupes, comme les personnes ayant un handicap, les personnes détenues – dont les terribles conditions ne peuvent qu’amplifier l’effet de contagion – et les personnes sans-abri, se sont retrouvées en position de vulnérabilité pendant le confinement. Que se passe-t-il lorsque tu n’as pas de maison, lorsque tu vis dans la pauvreté? Lorsqu’on vit à plusieurs dans un espace très exigu ou même dans une petite maison, par exemple, les femmes et les enfants sont plus vulnérables à la violence familiale. Parce que lorsqu’on est coincé dans un petit espace avec quelqu’un qui a déjà commis des agressions et que tout le monde est plus stressé, forcément, la violence familiale augmente. De nombreux groupes de la société méritent plus de protection, de fonds, d’aide gouvernementale et de soutien social. La pandémie nous ouvre vraiment les yeux. Elle nous pousse à nous demander ce que nous pouvons faire pour mieux soutenir et mieux protéger les plus vulnérables, pour le bien-être collectif.

 

Valerie Pringle : Beverley, qu’est-ce que la pandémie vous inspire comme changements à apporter maintenant et plus tard? 

 

Beverley McLachlin : Deux choses. La première, c’est qu’il nous faut voir la justice au sens large. Ce n’est pas qu’un palais de justice et une prison et ce genre de choses, de simples infrastructures institutionnelles. Il faut voir la justice comme une entité axée sur la personne. Ce que la pandémie nous a vraiment rappelé – nous le savions déjà, mais en parlions peu –, c’est que la justice prend une importance personnelle dans la vie des gens. C’est pour ça que nous pratiquons le droit. Lorsqu’on voit les personnes vulnérables, les femmes qui sont menacées, victimes de violence, lorsqu’on voit la corrélation entre les problèmes de santé et les démêlés avec la justice chez une personne, dans des situations comme l’itinérance par exemple, on s’aperçoit que la justice n’est pas un concept abstrait. La pandémie nous montre que ces personnes sont réelles et qu’elles souffrent. Une partie du problème est qu’on le voit rarement. Si on parvient à régler ce problème, en leur offrant un toit ou en annulant les faits reprochés par exemple, tout le reste ira mieux. Il y a d’ailleurs un mouvement mondial pour la promotion d’une justice axée sur la personne, et il s’est beaucoup accéléré depuis la pandémie. La deuxième chose, ce sont les institutions. Elles sont encore extrêmement importantes. Ce qu’on réalise, en fait, c’est que nous travaillions avec des institutions datant du 20e siècle où tout se fait par écrit et ce qui ne l’est pas se fait devant un juge. Et tout doit se faire en personne. Et tout doit respecter certaines règles et procédures. Parfois, c’est long et coûteux. Mais ces règles et procédures étaient vraiment importantes. Maintenant, nous voyons qu’il faut moderniser le système judiciaire. Il y a beaucoup de bon dans le système. Je ne veux pas cesser les procès en personne, mais à bien des égards, les technologies de l’information pourraient améliorer le système et faciliter la collaboration entre les tribunaux. On les appelle les « cybertribunaux ». Les gens en retirent une plus grande satisfaction. Bref, on réalise qu’il faut repenser notre appareil judiciaire. Il faut le rendre plus convivial dès le départ pour aider les gens qui n’en connaissent pas tous les rouages, qui ne peuvent peut-être pas se payer un.e avocat.e.

 

Valerie Pringle : Il y a tant de sujets intéressants à débattre, tant de leçons à tirer de ce qui ne fonctionne manifestement pas. Eric, hormis les soins aux aîné.e.s, quelles sont les autres priorités d’après vous? 

 

Eric Meslin : Nous venons d’entendre mes amies Berverley et Vardit, et je ne peux m’empêcher de penser que la pandémie de COVID-19 a révélé comment on fonctionne encore. Beverley a parlé d’un système datant du 20e siècle en matière de justice. Je dirais plutôt qu’il date du 19e siècle. Nous fonctionnons encore en vase clos. On traite les personnes, les populations et leurs milieux de vie isolément les uns des autres. On parle des centres de soins et des établissements de soins de longue durée comme s’ils n’appartenaient pas au réseau hospitalier, aux services externes, au réseau de santé communautaire. On s’intéresse depuis longtemps à la médecine personnalisée. On peut faire ici un parallèle avec ce dont Beverley parlait tantôt, la justice axée sur la personne. Si je fais cette observation en guise d’entrée en matière, c’est que, franchement, je crois que l’un des constats les plus révélateurs, sinon accablants, de la pandémie, c’est notre incapacité systématique à tirer des leçons du passé.

 

Valerie Pringle : Pourquoi donc? Pourquoi est-ce si difficile de tirer des leçons du passé? La logique voudrait que ce soit la première chose à faire pour bien se préparer, non?

 

Eric Meslin : Je soupçonne qu’il existe quelques raisons. Pour être gentil, je dirais que ce n’est pas facile de se préparer à l’imprévisible, que planifier des événements improbables n’est pas une grande priorité sociale. C’est difficile pour un gouvernement aussi. On se concentre sur ce qui est devant soi, sur ce que l’on voit, sur la suite des choses, la prochaine élection peut-être, le prochain budget, une importante décision politique qu’il faut prendre. Et le public, à sa défense, a beaucoup de mal à prendre de dures décisions concernant des imprévus. Il existe une tonne d’incertitudes. Ça, c’est la réponse gentille. L’autre réponse, c’est que nous n’avons pas appris comment tirer des leçons du passé lorsqu’elles se traduisent par de mauvaises nouvelles, lorsqu’elles signifient qu’il faut investir énormément d’argent dans la planification et la préparation de l’avenir. Nous ne sommes pas faits comme ça. Regardez ce qui se passe à propos des risques transmis sur les vaccins. Nous consacrons une grande partie de notre attention à examiner les risques de thromboses qui sont évalués à un cas sur 100 000 environ, alors qu’il existe des médicaments bien connus comme la pilule contraceptive où le risque de thrombose s’élève à un cas sur 1 000. Pour mettre les choses en perspective, je crois que nous avons du mal à apprendre comment tirer une leçon. Nous ne savons pas quelle leçon nous sommes censés tirer de l’épidémie de SRAS. Manquait-il d’infirmières? Aurions-nous dû fermer les frontières? Nous n’avons pas mis au point un bon processus décisionnel concernant les leçons les plus importantes à retenir, qui devrait les enseigner et qui devrait s’assurer que des leçons ont été tirées. Cela semble très théorique, mais je ne pense pas qu’il soit difficile d’expliquer concrètement la raison de cette difficulté.

 

Valerie Pringle : Vardit, comme vous présidez ce groupe et avez rédigé la déclaration,  vous avez une vue d’ensemble, vous connaissez les leçons à tirer dorénavant, particulièrement grâce à votre parcours professionnel.

 

Vardit Ravitsky : Vous savez, Valerie, je suis d’accord avec toutes les raisons qu’Eric a données, mais j’en vois une autre. Voyez comment la nature humaine est faite : on sait qu’on peut sauver des vies par la prévention, par des interventions en amont, mais on ne le fait pas, car ce n’est pas concret. Il faut pouvoir mettre un visage. En ce moment, nous n’avons que des chiffres, que des projections. On a tendance à investir lorsque la personne est malade, devant nous, lorsqu’on peut se transformer en superhéros et lui sauver la vie. Notre société investit toujours plus d’argent dans le système de santé pour corriger les problèmes au lieu d’investir dans la prévention pour éviter d’hospitaliser les gens. Avec la pandémie, j’espère que nous comprendrons enfin, comme population, comme société, que la prévention sauve aussi des vies. On peut maintenant montrer des chiffres entourant le port du masque, démontrer que les chiffres fluctuent en fonction de l’application de mesures sanitaires. Il n’y avait pas beaucoup d’interventions médicales au début de la COVID. Nous nous sommes concentrés sur les mesures sanitaires et nous savons qu’elles ont été efficaces. À mes yeux, une normalité à laquelle il ne faut pas revenir, c’est le manque de financement en santé publique, le manque de compréhension du grand public sur l’importance de se préparer à la prochaine pandémie. J’espère que nous adopterons une nouvelle normalité en soutenant publiquement, politiquement et financièrement les mesures de prévention. Mieux vaut prévenir que guérir.

 

Valerie Pringle : Concernant les initiatives en matière de justice dont vous parliez, Beverley, quels sont les obstacles? Et comment peut-on les surmonter? 

 

Beverley McLachlin : Je ne sais pas si on y parviendra, mais je suis entièrement d’accord avec ce qu’Eric et Vardit ont dit sur la difficulté de sortir les gens du concret pour les amener dans l’abstrait, comme un plan de prévention. Nous ne sommes pas très bons là-dedans, mais l’humain est un être rationnel, il peut planifier lorsqu’il le faut. À preuve, les meilleures entreprises préparent leur avenir en rédigeant des plans d’affaires détaillés en fonction des risques. Pourquoi nos gouvernements et la société dans son ensemble ne le font pas, en démocratie, voilà la question. Je crains qu’il y ait une forte mouvance vers le retour à la normalité d’avant plutôt que vers un vent de changement. La pandémie a révélé bien des choses. Je la surnomme « la grande révélation ». Elle a révélé nos faiblesses. Notre système de justice du 19e ou 20e siècle gagnerait à être modernisé. Tout n’est pas à jeter aux oubliettes. Notre système judiciaire a du bon. Mais il faut le rendre plus efficace, plus au service des gens.

 

Valerie Pringle : Je m’adresse à vous trois. Vous devez constamment entendre des gens dire, au hasard d’une conversation : « J’ai tellement hâte que les choses reviennent à la normale! » Dans ces moments, sautez-vous sur l’occasion de leur dire « Minute, un instant. Pensez à ce que vous demandez. C’est notre chance de redéfinir notre avenir, de refaire nos devoirs »?

Eric Meslin : Je pense que vous avez mis le doigt sur quelque chose. D’une part, on pourrait ne pas vouloir revenir à la normalité d’avant parce qu’elle est horrible, mais d’autre part, on pourrait vouloir y revenir parce qu’on n’en peut plus de cette nouvelle normalité. Comme lors de tout grand bouleversement social, ce n’est pas facile de savoir de quel côté se ranger. Je pense que quand les gens implorent de pouvoir revenir à la normale, c’est dans l’optique de cet « avant » où chaque décision n’était pas lourde de conséquences. Il y avait une sorte de pilote automatique, une sorte d’aisance, une manière habituelle de vivre sa vie qui était intuitivement moins stressante, même si en réalité elle ne l’était pas. L’idée de ne pas se soucier de porter un masque ou de garder ses distances… C’est épuisant de toujours penser à chacun de ses moindres gestes. Je crois que c’est ce que les gens veulent dire par là. Je ne suis pas sceptique envers les gens qui disent : « Peut-on revenir à la normale? » Je crois simplement qu’il nous faut reconnaître que certaines personnes n’en peuvent plus d’avoir à prendre des décisions et de se demander ce qui arrivera ensuite, et si on peut enrayer cette forme d’incertitude. Je pense que les gens se sentiront un peu mieux s’ils peuvent saisir les occasions que nous venons de décrire.

 

Beverley McLachlin : Effectivement, je crois aussi que c’est une question d’attitude. Nous avons beaucoup appris. Nous savons que même si nous avons hâte de socialiser, parce que c’est dans la nature humaine, nous ne le ferons plus tout à fait de la même manière. La même règle s’applique, je crois, à la prise en charge des personnes vulnérables, qu’elles soient âgées ou non. Nous donnerons encore des soins de base, mais nous ne le ferons plus tout à fait de la même manière. En le présentant comme ça, on évite de véhiculer un message crève-cœur. Sans vouloir être exagérément optimiste, je crois que c’est la bonne approche à prendre. Il faut prendre des mesures, tantôt petites, tantôt grandes, parfois ce sera de l’argent, parfois des infrastructures, mais il faut corriger le tir. Nous allons réoutiller certains de nos mécanismes dans les institutions.

 

Valerie Pringle : Vardit, aimeriez-vous ajouter quelque chose?

 

Vardit Ravitsky : Absolument. Revenir à la normale ou ne pas revenir à la normale? Là est la question. Comme on dit toujours en éthique : ça dépend. Je pense que tout le monde veut embrasser ses parents, ses proches, ses ami.e.s comme avant. Je pense que tout le monde veut retourner au restaurant, à la plage, au gym, ou repartir en voyage. Toutes ces choses qui nous ont terriblement manqué au cours de la dernière année. Oui, nous voulons revenir à la normale en ce qui a trait à la vie sociale, à la vie culturelle. Les musées, les concerts, les salles de cours nous manquent. Mais en ce qui concerne les structures sociales, les obstacles systémiques que certaines personnes ont dû traverser contrairement à d’autres, des gens très privilégiés, il est temps de reconnaître ces profondes différences, de les combattre, de les rejeter et de bâtir un monde nouveau qui favorise l’égalité d’accès aux activités plaisantes, d’une part, mais aussi aux besoins fondamentaux propres à la vie humaine. Les iniquités ne sont pas une fatalité. C’est un problème qui peut être résolu. 

 

Valerie Pringle : Eh bien, je vous félicite sincèrement pour votre travail et pour cette déclaration d’engagement à l’action. C’est un texte profond. Vous y avez grandement contribué. Merci de vos réflexions d’aujourd’hui. Merci de vos travaux sur ces questions. J’espère que vos mots trouveront un écho. Merci beaucoup. Ce fut un plaisir de m’entretenir avec vous. J’étais en compagnie de Vardit Ravitsky, de Beverley McLachlin et d’Eric Meslin. Merci de votre écoute. Ici Valerie Pringle. 

Date
2021 scholars

Voici nos boursier.e.s 2021 

La Fondation Pierre Elliott Trudeau a sélectionné quinze chercheur.se.s doctorant.e.s de premier plan, provenant de tout le Canada et du monde entier, comme boursier.e.s 2021 pour son programme de leadership.  
Statement of solidarity

Déclaration de solidarité à la mémoire des 215 enfants découverts à Kamloops

The Pierre Elliott Trudeau Foundation community is deeply saddened by the horrific discovery of a mass grave containing the remains of 215 Indigenous children in British Columbia.