Mondialisons-nous : Des boursiers-ères donnent le change au sein d'institutions internationales
De l’Université Aga Khan, à Karachi, au siège des Nations Unies, à New York, quatre anciens boursiers qui travaillent dans des institutions internationales relatent comment leur expérience à la Fondation Pierre Elliott Trudeau les a aidés dans leur parcours.
« Pendant mes études, la Fondation Pierre Elliott Trudeau était un des rares endroits, voire le seul, où l’on valorisait l’aspect interdisciplinaire de ma réflexion » affirme Rosalind Raddatz, boursière 2010, qui se trouve à Nairobi, au Kenya. « Inlassablement, les milieux universitaires me pressaient de me spécialiser. D’un côté, les politicologues disaient que mon travail était trop ethnographique, de l’autre, le département de philosophie trouvait que je penchais trop vers la science politique. C’est la bourse de la Fondation qui m’a permis de légitimer ma démarche. Et c’était justement le type de démarche que recherchait l’Université Aga Khan quand elle m’a nommée directrice du Bureau du vice-recteur, avec 20 pour cent du temps réservé à la recherche. »
Rosalind occupait ce poste depuis trois semaines quand nous lui avons parlé. Elle est consciente que ce n’est pas tout le monde qui est en mesure de pouvoir gérer le budget et la planification des programmes d’une université dont les campus se trouvent au Pakistan, en Afghanistan, en Afrique de l’Est et au Royaume-Uni. « J’ai toujours été un peu à part, dit-elle. Il me faut un certain degré de risque. Pour moi, les jours ne doivent pas tous se ressembler, je dois sentir que j’apporte quelque chose. Pourtant, ma décision n’a pas été facile; surtout que ma famille et mes amis voulaient plutôt que j’accepte un poste de cadre à Affaires mondiales Canada. Alors, j’ai parlé à deux membres de la Fondation – John Sims, mentor 2012, et Pierre-Gerlier Forest, ancien président de la Fondation. Leurs analyses objectives m’ont permis de préciser mon choix et je suis convaincue d’avoir pris la bonne décision. »
Katrin Wittig, boursière 2012, fait écho aux propos de Rosalind. « Plusieurs boursiers de la Fondation sont comme moi : ils ont deux âmes, dit-elle. Fondamentalement je suis une chercheuse, mais j’ai toujours aussi voulu être un agent de changement. En recevant la bourse, en 2012, je me joignais à une communauté de personnes brillantes afin d’apporter un vent de changement. Cela a transformé ma vie. »
À présent, Katrin est agente associée, Affaires politiques, pour le Groupe d’appui à la médiation des Nations Unies à New York. Elle dit que c’est l’emploi de ses rêves. « L’année 2017 a été difficile du point de vue géopolitique, dit-elle. Mais pour moi, personnellement, ç’a été tout autre chose. J’ai terminé mon doctorat, j’ai payé mes dettes et je me suis trouvé un travail intéressant. Est-ce que j’y serais parvenue toute seule? Je ne crois pas. Ma mentore à la Fondation, Marie-Lucie Morin, m’a conseillé et appuyée dès le départ. Aujourd’hui, elle est encore très présente pour moi. Par ailleurs, j’ai bénéficié de maintes conversations avec d’autres boursiers, mentors et lauréats : des conversations qui ont poussé ma réflexion et m’ont fait connaître d’autres disciplines. »
Cela dit, Katrin demeure prudente. « Il est vrai qu’à la Fondation, on a parfois l’impression de prêcher les convertis, note-t-elle. Si j’avais une recommandation à faire, ça serait de trouver plus de moyens pour stimuler la pensée de groupe. Mais je dois souligner que le soutien de la Fondation m’a permis de poursuivre mon projet même s’il devenait de plus en plus difficile de travailler dans les pays que j’étudiais (le Burundi, le Rwanda et la République démocratique du Congo). »
Quant à Brent Loken, boursier 2011, un des plus grands apports de la Fondation à son parcours n’était pas la communauté de soutien, mais bien l’exposition à la différence.
« J’ai voyagé de l’île de Bornéo à Montréal pour mon entrevue dans le cadre du concours de bourses, se souvient-il. À cette époque, je me consacrais au développement communautaire, à la lutte contre la déforestation et à la protection des orangs-outans. J’adorais travailler à l’échelle locale, vivre dans les villages avec les fermiers et les groupes communautaires. Mais chaque fois que je revenais au Canada pour un événement de la Fondation, j’avais la chance de rencontrer des leaders des milieux politiques et du monde des affaires : des personnes très influentes sur les grandes décisions mondiales. J’ai commencé à me rendre compte que pour apporter de véritables changements là où c’est nécessaire – en quelques décennies, pas quelques siècles –, je devais m’impliquer dans les grandes arènes politiques : que ce soit l’élaboration des politiques à l’échelle nationale ou les entreprises nationales et internationales. »
« En toute honnêteté, j’étais triste de quitter la jungle de Bornéo et d’enfiler le complet-veston, ajoute-t-il. Au début, je me sentais mal à l’aise et il me semblait plutôt inutile de participer à des événements avec les chefs d’entreprises et les représentants des gouvernements. Mais tout en quittant ma zone de confort, j’ai peu à peu compris l’importance de ces contacts. Si j’arrivais à convaincre une grande entreprise à changer sa façon d’utiliser une ressource non renouvelable, si j’arrivais à persuader un représentant gouvernemental à changer une politique, alors je pourrais accomplir davantage de choses, et plus rapidement. Cela m’a ouvert les yeux. »
En tant que directeur de EAT, une organisation internationale établie à Oslo, Brent travaille étroitement avec des entreprises et se dit encouragé par le degré de volonté qu’elles manifestent. « Condamner la grande entreprise n’aide en rien, conclut-il. Certaines entreprises ont permis de faire progresser l’Accord de Paris. Elles peuvent souvent agir plus rapidement que les gouvernement ou les consommateurs sur certaines questions liées à l’alimentation saine et durable. C’est ce qui nous intéresse à EAT : dans le cadre de mon travail ici, j’entends collaborer avec les entreprises, les gouvernements, la société civile et les universités pour permettre à tous les habitants de la terre d’accéder à une telle alimentation. »
Selon lui, un des aspects que pourrait améliorer la Fondation est sa façon de mettre en action les idées qui germent lors de ses événements. « Tant d’esprits et tant de gens puissants se retrouvent à ces événements : collectivement, nous pourrions apporter de véritables changements si nous canalisions nos énergies vers la solution de problèmes concrets. Nous pourrions, par exemple, participer au développement de moyens pour mener à bien les objectifs de développement durable des Nations Unies ou l’Accord de Paris sur les changements climatiques. »
Le parcours de Brent a connu plus de changements que celui de Simon Collard-Wexler, boursier 2009 et premier secrétaire des Affaires politiques à la Mission permanente du Canada auprès des Nations Unies à New York. Simon travaillait déjà pour Affaires mondiales Canada quand il a pris un congé d’études pour faire son doctorat. Il est retourné au Ministère auprès l’obtention du diplôme. Pour Simon, une des plus grandes richesses de la Fondation a été l’ampleur et la profondeur de son réseau.
« En novembre dernier, j’ai travaillé à l’organisation d’une réunion internationale sur le maintien de la paix, à Vancouver, donne-t-il comme exemple. Mon expérience comme boursier de la Fondation m’a montré que ce type de congrès est plus productif si on lui donne un caractère interdisciplinaire. Je pense à tous ces événements de la Fondation où on a échangé nos points de vue, souvent dans les corridors et pendant les repas. J’entretiens encore des liens avec les personnes que j’ai rencontrées alors que j’étais boursier : ce sont toutes des personnes exceptionnelles qui œuvrent dans une diversité de secteurs. »
Tout de même, Simon aimerait que la Fondation suscite davantage de débats. « Les panels aux colloques de la Fondation devraient systématiquement porter sur des questions difficiles et faire appel à une variété de points de vue, peu importe leur impopularité, recommande-t-il. N’oublions pas que le risque de la chambre d’écho est bien réel. »
C’est à Rosalind que revient le dernier mot : « J’ai remarqué que la gentillesse et l’éthique ne sont pas toujours récompensées dans les milieux d’excellence en affaires et en recherche. Or, la gentillesse est une des valeurs implicites de la Fondation, laquelle valorise aussi l’excellence, bien sûr. Et elle respecte aussi la différence, suffisamment pour faire place au dialogue. À l’Université Aga Khan, je retrouve ces valeurs et je me sens dans mon élément. Force est de constater qu’il n’est pas toujours facile d’installer des lieux propices au dialogue. Mais la Fondation a démontré que c’est possible. »
23 février 2018