L'Internet et les considérations éthiques
Le monde a vécu une série de révolutions dans le domaine des communications. Chacune d’elles a accéléré le rythme et élargi la portée de nos échanges. Et chacune d’elles a créé de nouveaux problèmes éthiques pour les usager.ere.s et les sociétés.
La première révolution dans la technologie des communications (à part l’invention initiale de l’écriture) a été l’invention de l’imprimerie par Gutenberg vers 1450. Avant la presse à imprimer, les êtres humains communiquaient de façon orale ou bien – pour la minorité qui savait lire et écrire – en s’attelant à la tâche laborieuse d’écrire des missives et de les faire livrer à leur récipiendaire. Étant donné que les mots ne voyageaient pas très loin, la société ne se préoccupait guère de l’aspect éthique de ce qui était dit et écrit, tant que cela respectait les croyances religieuses établies.
La presse à imprimer a changé la donne en permettant la création de milliers d’exemplaires de messages et leur distribution vaste et anonyme. Propulsée par une alphabétisation croissante, cette invention a élargi la portée des propos. Soudain, un message pouvait causer des dommages graves et étendus. L’éthique et le droit ont été appelés en renfort. Les pays ont adopté des lois interdisant les propos séditieux ou hérétiques ainsi que des lois sur la diffamation pour contrer les faussetés qui nuisaient à des réputations. Les messages haineux ont fini par être interdits. Et notre droit actuel reflète ces préoccupations éthiques.
La dernière décennie du vingtième siècle a vu émerger une deuxième révolution dans les communications : les communications numériques. Si l’imprimerie a amplifié la portée des mots, la révolution numérique l’a fait à une échelle monstre. Elle a permis à tous d’envoyer un message n’importe où dans le monde, à un auditoire vaste et inconnu et ce, de manière anonyme et sans contraintes. Cela a marqué une grande avancée dans l’aptitude des êtres humains à communiquer, ce qui est positif en théorie.
La révolution numérique a néanmoins un côté funeste. Elle amplifie non seulement les propos édifiants, mais également les propos nuisibles tels que les propos haineux, le racisme, la pornographie, le harcèlement et la désinformation capables de déformer les processus politiques. L’effet de silo (la tendance des utilisateur.trice.s à se cantonner aux sites Web qui représentent leurs propres croyances et opinions) a aggravé davantage les conséquences négatives et a fait de théories conspirationnistes des messages viraux. Au lieu d’évoluer parmi des points de vue divers, les habitants de l’âge numérique s’enfoncent dans leurs croyances. Si on parlait anciennement de la quête de la vérité, la quête dorénavant – pour de nombreux internautes – se résume à chercher ce qu’on veut entendre.
La face sombre de la révolution numérique soulève une pléthore de nouvelles inquiétudes éthiques, des inquiétudes avec lesquelles il est plus difficile de composer qu’avec celles qu’on associe à l’invention de l’imprimerie. Les plateformes numériques fonctionnent largement hors de la portée de la loi; elles obéissent non à des considérations éthiques mais à des algorithmes conçus pour maximiser les revenus de publicité peu importe le contenu des messages diffusés. Même si les plateformes voulaient éradiquer les maux liés à l’Internet, le défi est immense vu le volume de la diffusion et le fait que des propos problématiques peuvent être largement diffusés avant d’être retirés. Sans compter les risques de censure et de violation de la liberté d’expression.
Les implications éthiques de la révolution numérique sont énormes et complexes. Les pays du monde entier, y compris le Canada, cherchent des moyens d’encadrer les plateformes. Certains pays, comme l’Allemagne, ont adopté des lois de retrait forçant les plateformes à retirer les messages offensants. En mettant de côté le spectre de la censure étatique (qui soulève des questions éthiques en soi) d’aucuns remettent en question l’efficacité de cette approche; comment précisément une politique de retrait peut-elle être surveillée et mise en œuvre dans notre monde aux milliards de messages ?
Une approche différente (recommandée par un rapport récent du Forum des politiques publiques) serait une approche systémique qui aurait pour but d’accroître la transparence dans la transmission des messages par les plateformes et leurs algorithmes et d’augmenter le pouvoir des utilisateur.trice.s par l’éducation et la sensibilisation. L’espoir est qu’une approche systémique, alliée à l’application des lois existantes contre les discours offensants par l’État, et davantage de politiques proactives par les plateformes, pourraient donner de bons résultats afin de relever les défis posés par la révolution numérique.
Nous faisons bien de nous intéresser aux implications éthiques de l’ère numérique. Et nous devons trouver des solutions aux problèmes actuels.