L’honorable Louis LeBel : Pandémie, égalité et triage social
La pandémie déclenchée par la Covid-19 a posé à notre société des questions singulièrement fondamentales à l’égard de la nature de l’égalité entre ses membres et des droits à celle-ci. Au-delà de la rhétorique juridique et raffinement des méthodes d’interprétation, elle nous a confrontés à des phénomènes de triage social.
Nous avons évité le triage appréhendé à l’entrée d’hôpitaux submergés par des vagues de patients. Ce triage s’est réalisé autrement et ailleurs à partir de l’âge, des origines sociales ou des niveaux de vie. Dans notre pays, le personnel des hôpitaux n’a pas eu à déterminer qui vivrait et qui serait condamné à mort.
Notre triage a fonctionné autrement. Au Québec et dans d’autres provinces, il s’est fondé sur l’âge d’abord. Ce ne fut sans doute pas délibéré. Ce fut toutefois, au moins en partie, l’effet de pratiques sociales bien établies quant à l’aménagement de la vie des couches plus âgées des populations.
Ailleurs, le triage a été le résultat de phénomènes d’inégalités réelles. Par exemple, ils ont opéré dans des quartiers de certaines grandes villes, comme Montréal-Nord. Les conditions d’emploi, la densité de la population et l’état des milieux de vie ont joué des rôles décisifs pour créer un système de triage involontaire, mais effectif. Ces facteurs ont magnifié les risques de la Covid-19 et minimisé la possibilité d’échapper à la maladie et la mort. L’égalité juridique citoyenne existait toujours, non l’égalité réelle.
Ce tri non planifié illustre la puissance des inégalités réelles. Il témoigne des difficultés persistantes à donner contenu et effectivité aux droits sociaux ainsi que des limites du droit et des processus judiciaires.