La vitesse qui tue – les plateformes, l’expression démocratique et le rôle des universités
Un message de paix qui se propage partout sur la planète, une photo inspirante qui nous fait apprécier le courage de nos voisin.e.s, une campagne de mobilisation qui rejoint mes milliers de bénévoles : les bienfaits des médias sociaux sont bien connus. Des milliards de personnes les utilisent quotidiennement pour s’informer, se distraire et communiquer entre elles. Nous vivons également le côté pervers de cette dissémination fulgurante et globalisée de nouvelles et d’images : le faux circule souvent plus vite que le vrai, et les messages haineux, plus rapidement que les manifestations d’amitié. Nous savons maintenant que les plateformes ont la capacité d’envenimer les débats publics, de miner l’accès à une vraie information, de saboter des vies par la dérision et la raillerie, d’encourager la violence et la haine, et de promouvoir la misogynie et le racisme. Les algorithmes accélèrent des tendances funestes, et il est souvent difficile de les arrêter à temps.
Le développement technologique a toujours eu une incidence sociale transformatrice : l’automobile a créé les banlieues, les centres d’achat, et notre dépendance aux hydrocarbures. Mais c’est l’accélération des transformations technologiques qui effraie au 21e siècle : saurons-nous nous adapter et éviter des disparités d’accès ? Est-ce que l’essor technologique mènera à la prospérité et à l’égalité ou à une aggravation des tensions sociales et des injustices ?
Deux aspects de la « vitesse » de notre temps peuvent s’avérer désastreux pour l’esprit démocratique. D’un côté, la rapidité des changements technologiques teste nos capacités d’adaptation. De l’autre, la célérité avec laquelle les mauvaises informations circulent peut limiter notre capacité démocratique de prendre de bonnes décisions. En effet, nous devons premièrement nous inquiéter des limites de la capacité des êtres vivants à changer rapidement. Qui est laissé derrière ? Le fossé technologique se creuse : certains acteurs et certain.e.s travailleur.se.s sont capables de s’adapter et d’autres sont abandonné.e.s. Les exemples se multiplient de plus en plus : est-il possible de vivre sans cellulaire, d’acheter des denrées sans carte de crédit ou de recevoir des soins de santé sans avoir accès à l’internet ?
La vitesse de dissémination de la désinformation est l’autre aspect préoccupant. La vérification des faits est un emploi à temps plein. Qui doit le faire ? À quel rythme ? Doit-on exiger une présence de scientifiques averti.e.s 24 heures sur 24 pour répondre à la distribution exacerbée de mensonges et apporter les correctifs nécessaires ? Les observatoires de vérification des faits doivent-ils devenir des services publics essentiels ?
Quel est le rôle des universités face à cette vitesse qui tue, comme le disaient les annonces gouvernementales pour contrer la vitesse au volant. Les universités sont des institutions de savoir et de recherche de vérité, elles doivent promouvoir l’accès à ce savoir pour permettre l’adaptation et la prise de bonnes décisions. Les universités ont un rôle « démocratisant » : elles permettent la mobilité sociale, enrichissent notre compréhension du monde et sont des engins de progrès technologique, scientifique et philosophique. Le savoir se fait et se défait dans les universités : les idées évoluent et changent. Devant le rythme effarant de transformation technologique, le rôle des universités doit être maximisé. Les universités doivent accélérer leur capacité et leur accessibilité.
La science et la formation prennent du temps, mais nous en avons de moins en moins pour réagir.
Je veux articuler ici un devoir accru pour le secteur universitaire : une omniprésence rigoureuse et une productivité à la mesure des défis de notre temps. Il faut imaginer un secteur universitaire indépendant et intègre, qui soit en mesure de démasquer les erreurs et d’y répondre en temps réel avec nuance et profondeur, un secteur qui puisse continuer de permettre à tous et toutes de s’adapter au progrès et de participer à l’évolution de nos sociétés. Le secteur postsecondaire doit répondre à la menace antidémocratique que posent la désinformation et les transformations technologiques précipitées.
La vitesse tue, disait le slogan : elle ne peut être maîtrisée que par des institutions qui tiennent bien la route.