Envisager l'avenir de la Fondation
L’année 2018 marquera une transition pour la Fondation Pierre Elliott Trudeau. En effet, une nouvelle présidente reprendra les rennes de la Fondation, de nouveaux employés se joindront à l’équipe tandis que l’organisme procédera à son évaluation quinquennale. J’ai demandé à quelques membres avisés de la Fondation ce qu’ils entrevoyaient comme priorités pour cette étape dans l’existence de la Fondation.
Clarifier nos valeurs. Pour Sarah Kamal, boursière 2007 et agente de programme, bourses doctorales (octobre 2017 à avril 2018), le moment est idéal pour la réflexion. Forte de sa position privilégiée en tant qu’ancienne boursière et ancienne employée, Sarah évoque la tenue de regroupements afin de redéfinir les valeurs fondamentales de la Fondation.
« Je pense à une réflexion animée par des professionnels où on inviterait tous ceux qui souhaitent y participer, dit-elle. Une quinzaine d’années après la première cohorte de boursiers, il serait intéressant de clarifier encore une fois nos réalisations et les raisons qui nous animent. Où souhaitons-nous aller? Que veut-on réaliser? Qu’elle est l’utilité d’un projet d’avenir – un exercice qui consiste à imaginer quelle serait la position de la Fondation si le mouvement Idle No More resurgissait, ou encore, si le pays élisait un chef hautement diviseur et imprévisible? C’est le moment de nous redéfinir. »
Reconnecter avec notre communauté. Les propos d’Aaron Mills, boursier 2015, font écho aux recommandations de Sarah quant à l’exercice de visualisation. « Je sens un détachement de plus en plus important entre, d’une part, les nouvelles cohortes de boursiers et de lauréats et, d’autre part, l’idée que se fait la Fondation en tant qu’institution. Ce détachement concerne la façon dont la Fondation souhaite emmener le travail de brillants chercheurs hors des milieux universitaires et sur la scène publique. Je constate que de plus en plus de membres de notre communauté pensent qu’il faut remettre en question les pouvoirs sur plusieurs plans : pas seulement dans les institutions étatiques libérales ou dans les mécanismes internationaux de gouvernance, mais aussi dans les instances moins officielles. En d’autres mots, ils pensent que les changements peuvent survenir de plusieurs façons, pas uniquement par des processus institutionnels immuables. »
Qu’est-ce que cela a à voir avec un exercice de visualisation d’avenir? « Selon moi, si la Fondation s’engage dans cette avenue – pour s’ouvrir à l’exploration des divers fonctionnements du pouvoir, lors de nos événements par exemple –, la communauté se montrera très intéressée, explique Aaron. Ce genre d’auto-questionnement de pointe serait vu comme une véritable force. Et ça aiderait la Fondation à se redéfinir alors qu’elle en est, je pense, à un point décisif. »
Être le leader et non un suiveur. Ce qui vient spontanément en tête de la mentore 2016 Marie Wilson concerne la position de la Fondation face aux enjeux autochtones. « En 2014, la Fondation a franchi un pas important dans le sens de la réconciliation, note-t-elle. Il est maintenant primordial de ne pas traîner de la patte. La réconciliation doit être une priorité, pas seulement pour des organismes comme la Fondation, mais aussi pour ses partenaires : les universités et d’autres organisations. »
« Une des façons d’y parvenir est de s’assurer que chacune des cohortes de la Fondation soit diversifiée. J’ai été agréablement surprise de voir à quel point les boursiers valorisent leur cohorte : ils chérissent ce qu’ils ont appris en côtoyant d’autres disciplines ou cultures au sein de leur groupe formé d’une quinzaine de pairs. Or, nous savons que les réseaux sont essentiels pour influer sur les politiques publiques. Il est donc important que chaque cohorte de la Fondation soit aussi diversifiée et aussi représentative du Canada que possible. »
Marie recommande aussi plus de leadership dans l’acquisition de nouvelles compétences. « J’ai été surprise par le nombre de boursiers qui se sentent nerveux devant les médias, remarque-t-elle. La Fondation propose cette formation de façon optionnelle, mais il s’agit en fait d’une compétence essentielle. Nous devrions en faire un élément central des activités de la Fondation dans le parcours des boursiers. »
Prioriser l’excellence de l’inclusion. J’ai rencontré Mélanie Millette, ancienne boursière et présidente de la société des anciens de la Fondation, ainsi qu’Adelle Blackett, lauréate 2016. Toutes deux font écho aux propos de Marie Wilson sur l’importance de la diversité. « Contribuer aux politiques publiques, aider à définir la place du Canada dans le monde : les membres de la Fondation peuvent mener à bien ces aspects de la mission de la Fondation si la communauté devient un microcosme qui reflète la diversité du Canada, dit Adelle. Nous devrions remettre constamment en question nos critères de sélection afin de favoriser une excellence inclusive. Est-ce que nous choisissons trop en fonction des réalisations et pas assez en fonction d’une stratégie qui favoriserait l’excellence de l’inclusion? Est-ce qu’on privilégie toujours les mêmes profils? Est-ce qu’on se laisse assez de latitude pour l’étonnement? » Mélanie, qui siège au conseil d’administration de la Fondation, prône une plus grande diversité au niveau même de la gouvernance. « La parité parmi les administrateurs est une priorité pour le conseil, ajoute-t-elle. Mais j’aimerais aussi y voir d’autres types de diversité : politique, linguistique, communautés autochtones, minorités visibles – rapprochons-nous encore plus du Canada d’aujourd’hui. »
Que signifie une plus grande diversité pour la visibilité de la Fondation? Mélanie pense que ça ferait mieux connaître la Fondation auprès de diverses communautés. Mais la visibilité publique est une moindre préoccupation pour elle. « Le fait que les boursiers et les lauréats s’identifient ou non dans les médias comme membres de la Fondation me préoccupe moins que les changements sociaux que nous pouvons insuffler. Nous devons donner aux membres de la Fondation la possibilité d’améliorer les conditions sociales – pas seulement en influençant les politiques publiques, mais aussi grâce à l’éducation et au travail communautaire. C’est une des raisons pour lesquelles je suis contente de voir la Fondation interagir plus étroitement avec les communautés locales lors de l’institut d’été. Nous constituons lentement un legs qui donnera fruit dans les mois et les années à venir. »
Se faire champion d’une réflexion approfondie. En tant que lauréate, Adelle voit sous un autre angle le legs de la Fondation. « Il est facile de sous-estimer l’impact du prix de recherche, dit-elle. Mais en remettant un prix, la Fondation soutien un microcosme entier : le domaine de recherche du lauréat, les étudiants qui y travaillent, les organisations et réseaux dans lesquels évolue de lauréat. Ce type de validation peut transformer tout un domaine. L’influence s’étend aussi aux collègues et à l’administration universitaire. »
Après une courte réflexion, Adelle revient à la suggestion de Sarah. « C’est un moment crucial de l’histoire pour ceux qui croient aux institutions démocratiques. Il est peut-être temps pour la Fondation de s’arrêter pour se questionner sur les modes d’inclusion et de participation. Quels sont les moyens, pour un organisme sans affiliation politique comme le nôtre, de favoriser la réflexion approfondie et l’engagement sur des questions liées à la démocratie participative, à l’égalité et à la justice sociale? » Mélanie abonde dans le même sens. « Il est plus important que jamais pour la Fondation de trouver des moyens d’asseoir la démocratie sur des bases plus stables et solides. Que faudra-t-il pour raviver la confiance des citoyens envers le potentiel de la démocratie? Peut-être qu’il faudrait regarder un peu moins les lois et se pencher davantage sur les questions d’émotions et d’influences. Peut-être qu’il faut nommer plus de philosophes et de sociologues à la Fondation. Ce genre de questions peut avoir un grand effet transformatif. »
Que fait-on maintenant? Transformation, réflexion approfondie, excellence inclusive : deux jours avant la mise sous presse de cet article, j’ai demandé à la prochaine présidente et chef de la direction de la Fondation de s’exprimer sur ces questions. La nomination de Pascale Fournier avait été annoncée la semaine précédente.
« Ces suggestions novatrices sont très intéressantes, affirme Pascale. Je vois la Fondation dans une position de leadership intellectuel et j’insiste sur le rôle spécial qu’elle joue dans le développement des leaders intellectuels de demain. Comme le dit Sarah, la Fondation a célébré son quinzième anniversaire : le moment est idéal pour voir où nous en sommes et où nous voulons aller. Qu’est-ce qui rend la Fondation unique? Quelles améliorations peut-on y apporter? Qu’est-ce que c’est qu’un vrai leader? »
« Dès que j’entrerai en fonction le 30 juillet, ma première tâche sera de communiquer avec nos divers partenaires – boursiers, lauréats et mentors actuels et anciens; universités; membres, employés et administrateurs; donateurs et autres – pour développer un plan stratégique quinquennal, ajoute Pascale. J’envisage une consultation intensive avec des particuliers et des groupes de réflexion d’un bout à l’autre du pays pour discuter de la vision de la Fondation, déterminer les besoins, cerner les objectifs et préciser les attentes. »
Voici où convergent les points de vue de Pascale, Marie, Adelle et Mélanie sur la diversité. « Il est facile de s’entourer de personnes qui vous ressemblent. Mais c’est en sortant de sa zone de confort qu’on grandit le mieux, quand il n’y a plus d’autre choix que d’élargir ses frontières. Il est en effet très enrichissant de s’imprégner des structures des gens qui diffèrent de nous, par exemple. Si nous souhaitons développer un solide leadership, il faudra aborder la question des relations de pouvoir. Et cela veut dire s’ouvrir à de nouvelles façons d’apprendre et d’évaluer l’excellence. C’est une question de diversité à un niveau encore plus approfondi et audacieux. »
« Le Canada se trouve à un moment charnière de son histoire, remarque Pascale. La Commission de vérité et réconciliation nous enjoint à repenser les structures, les liens avec le territoire et les relations avec les autres – voire nos propres constats en matière de connaissances et de vérité. Comme le dit Aaron, nous devons nous ouvrir à de nouvelles façons d’explorer les rouages du pouvoir. Plus concrètement, on pourrait se demander quel est le poids relatif des listes de publications dans les candidatures aux bourses; car on observe chez les boursiers une grande variation en matière d’engagement communautaire. De même, on pourrait voir comment définir l’engagement universitaire chez les lauréats potentiels. Ces choses se clarifieront si nous nous posons les questions de fonds. Pour l’instant, l’important est d’employer une approche ascendante, d’écouter attentivement et d’établir des objectifs clairs qui reflètent notre identité.
Pascale a bien raison : dans toute existence – que ce soit celle d’une personne ou d’une organisation –, vient un moment où s’arrêter et se poser les questions fondamentales est l’action la plus sage. Ces membres de la Fondation estiment que de telles questions, émanant d’une communauté encore plus représentative, peuvent donner l’élan et accroître le potentiel transformatif de la Fondation dans la société canadienne – pas seulement dans les milieux universitaires, mais aussi bien au-delà. Il semble que nous le saurons bientôt.