Édition de gènes
Il y a dix ans, des scientifiques ont publié un article pour présenter une découverte révolutionnaire qui a depuis eu une profonde incidence sur de nombreux aspects de la science et de la médecine. Huit ans plus tard, les deux femmes à l’origine de cette découverte ont remporté le prix Nobel de chimie. Elles, et d’autres, ont trouvé un moyen d’utiliser un phénomène biologique appelé CRISPR pour modifier l’ADN de manière plus sûre, plus précise et moins coûteuse que par le passé. Si vous considérez l’ADN comme une langue, le CRISPR – un peu comme un traitement de texte – permet d’effectuer des modifications pour une lettre spécifique.
L’édition de l’ADN nous permet de modifier la base génétique de différentes caractéristiques chez les plantes, les animaux et les humains. Si l’on considère que de nombreuses maladies sont causées par des « erreurs » (ou « coquilles ») dans notre ADN, on comprend immédiatement pourquoi cette technologie a un énorme potentiel médical. Imaginez un monde dans lequel des milliers de maladies génétiques actuellement incurables, dont certaines sont causées par une seule erreur (mutation), pourraient être guéries par une injection qui les « corrigerait ». Des essais cliniques visant à atteindre cet objectif sont en cours dans le monde entier, donnant un nouvel espoir à des milliers de familles.
Maintenant, imaginez qu’au lieu de guérir un.e patient.e déjà malade, vous puissiez prévenir complètement la maladie en corrigeant l’erreur avant sa naissance ! C’est possible si l’on considère que nous pouvons modifier l’ADN des spermatozoïdes, des ovules et des embryons. La fécondation in vitro (FIV), une technologie vieille de 44 ans et considérée aujourd’hui comme sûre et socialement acceptable, nous donne accès aux embryons à un stade précoce, lorsqu’ils ne sont constitués que de quelques cellules identiques. Si nous corrigeons l’erreur génétique dans ces quelques cellules, la correction sera présente dans toutes les cellules du corps par la suite. Le fœtus qui se développerait, et l’enfant qui pourrait en résulter, serait totalement exempt de la maladie génétique que nous avons ciblée et ne nécessiterait aucun traitement ou intervention supplémentaire.
Cela suscite évidemment de grands espoirs, mais hélas ! aussi de profondes inquiétudes. Puisque nous modifierions toutes les cellules du corps de cette personne, nous introduirions également le changement dans les cellules reproductrices (également appelées cellules « germinales ») : dans le sperme s’il s’agit d’un homme et dans l’ovule s’il s’agit d’une femme. Cela signifie que si cette personne a des enfants, le changement que nous avons apporté leur sera également transmis, ainsi qu’à toutes les générations suivantes qu’ils.elles pourraient concevoir.
Si nous réussissons, la récompense est énorme : nous éradiquons des maladies génétiques pour les générations à venir. Mais si nous échouons et causons des dommages, ceux-ci ne seront pas subis par une seule personne (comme dans le cas de l’utilisation du CRISPR pour traiter un.e seul.e patient.e), mais plutôt - si nous considérons l’impact à l’échelle de l’évolution - par des millions de personnes. Les dommages que nous pourrions causer par une mauvaise utilisation de cette technologie sont donc sans précédent.
Par conséquent, depuis la découverte du CRISPR, les éthicien.ne.s et les régulateurs ont élaboré des directives pour répondre à ces préoccupations. Si la plupart approuvent les essais cliniques qui utilisent la technologie CRISPR sur les cellules du corps (appelées cellules « somatiques »), ils.elles estiment que son utilisation sur des cellules germinales ou des embryons est trop risquée.
Récemment, cependant, certain.e.s affirment qu’au fur et à mesure que progresse notre compréhension du CRISPR, il viendra un moment où nous devrons essayer de modifier les cellules germinales avec prudence et de manière responsable, en limitant d’abord nos efforts et en ne ciblant que les maladies génétiques « graves ». Cela soulève la question complexe qui consiste à convenir de ce que nous entendons par « grave ».
Devons-nous cibler uniquement les gènes à l’origine de maladies incurables ? Fatales ? Qui apparaissent à un jeune âge ? Qui sont extrêmement coûteuses à traiter ? Ces questions sont actuellement débattues dans le domaine de la bioéthique, car sans une réponse claire, nous ne pouvons pas déterminer ce que serait une utilisation responsable du CRISPR sur les cellules germinales. J’invite chacun.e d’entre nous à réfléchir à cette question complexe et à se demander ce que nous considérons comme une maladie « grave » et pourquoi.