Danielle Peers : Inclinations
Le film s’ouvre sur un bâtiment vide de type institutionnel. Il pourrait s’agir de n’importe quel bâtiment institutionnel en ces temps de pandémie. Il s’agit cependant des couloirs et de la rampe de 100 pieds de l’Université de l’Alberta avant la COVID en été, ainsi que du décor d’Inclinations, le film qu’Alice Sheppard et moi présentons sur le circuit des festivals de cinéma (maintenant de façon numérique). Chorégraphié, mis en scène et tourné sous la lentille du handicap, ce film de six minutes sur la danse et le cinéma explore les liens ludiques qui se créent au confluent du handicap, de la collectivité et de la rampe. Il s’intéresse également aux inclinations eugéniques et racistes discordantes qui se cachent juste sous la surface (visionnez-le ici).
Inclinations résonne de nombreuses façons avec mon expérience en tant que personne queer, non binaire, blanche et handicapée ainsi qu'appartenant à la société coloniale pendant la crise de la COVID-19. Lorsque nous avons réalisé le film, nous voulions que les scènes inquiétantes de ton vert dans le bâtiment institutionnel représentent des temps et des espaces eugéniques (en particulier en Alberta). Si cette pandémie a permis de clarifier quelque chose, c’est que l’eugénisme n’appartient pas au passé : discrimination fondée sur la capacité physique lors du triage pour l’obtention de soins médicaux, ordonnances de non-réanimation forcées, stratégies d’immunité collective et précarité extrême des personnes institutionnalisées (p. ex. établissements de « soins » de longue durée, prisons, centres de détention).
Tout comme l’eugénisme des XIXe et XXe siècles, la discrimination systémique inscrite dans l’eugénisme pandémique actuel est profondément liée à la suprématie blanche, à la colonisation et à la xénophobie. Réfléchissez à la précarité racialisée de l’exposition à la COVID et de la mort, au fait d’imputer les inégalités en matière de santé aux personnes précaires, au refus de faire le suivi des disparités raciales au Canada et aux rassemblements nazis contre le confinement. Bien que la droite américaine en soit un exemple évident, je vous invite à examiner la façon dont ces idéologies persistent dans nos pays, nos collectivités et nos consciences. Pensez à l’octroi, du jour au lendemain, d’accommodements à l’échelle du système (p. ex. travail à domicile, suppléments de revenu) qui ont longtemps été largement refusés aux personnes handicapées et qui nous sont encore souvent refusés. Réfléchissez à la façon dont les arrêts de travail sont considérés comme des difficultés nécessaires lorsque la vie des colons est en jeu, à la façon dont la construction d’un oléoduc contesté a été considérée comme un service essentiel, mettant ainsi en danger la vie d’Autochtones, et à la façon dont toute incidence économique négative est considérée comme un coût déraisonnable lorsque la vie, les moyens de subsistance et les terres des Autochtones sont en jeu. Cette pandémie a montré clairement que l’eugénisme, la suprématie blanche et le colonialisme sont bien vivants et étroitement liés.
Mais Inclinations et les pandémies ont également un côté intime, joyeux, audacieux, espiègle, irrévérencieux, radicalement interdépendant et préfigurativement handicapé. Il y a une reconnaissance et une célébration renouvelées des groupes, des perspectives et des mouvements de justice des personnes queer, transgenre, femme, BIPOC (noires ou Autochtones ou de couleur) ayant un handicap, malades, Mad et neurodivergentes. « Le handicap est un art. C’est une façon ingénieuse de vivre. » écrit Neil Marcus. Beaucoup d’entre nous ont déjà appris à vivre l’isolement social avec style. Nous savons comment ajouter une touche d’épanouissement à la tâche parfois difficile qu’est la survie (individuelle et collective) non (suffisamment) soutenue par la société. Il y a longtemps que nous avons piraté les soirées de danse numérique, les masques faits maison, l’accès à l’intimité et les groupes de soins fondés sur le consentement. Nous avons conféré un sens à tous ces mois où il nous est impossible de quitter la maison à cause des trottoirs non déneigés, à ce manque chronique de soutien, à ces endroits inaccessibles et à ces espaces inhospitaliers. Nous avons renoncé à nos idéaux d’indépendance, à notre nostalgie de la norme et à notre sentimentalité à l’égard du statu quo. Nous connaissons l’inévitabilité de la transformation et les dangers des fantasmes d’une réhabilitation offrant une possibilité de « retour à la normale ».
Dans la foulée de cette pandémie, pourquoi tenterions-nous de réhabiliter le Canada d’avant la COVID, alors que nous pourrions le transformer en quelque chose de plus durable et de plus juste? Pourquoi nous accrocher à l’idéologie darwinienne et à l’économie capitaliste de la survie du plus fort, alors que nous savons que la biodiversité interdépendante — et non la suprématie individualiste (autodéclarée) — est à l’origine d’une écologie prospère? Tout en aplanissant cette courbe, pourquoi ne pas tenir compte des inclinations les plus créatives, collectives et inclusives des personnes handicapées?