Contemplez la Terre qui nous porte

À mesure que des crises écologiques se produisent, à la fois au loin et tout près de nous, et que des réponses sont posées et des solutions proposées, comment discerner intelligemment les bons gestes des mauvais ? Et comment la « recherche du bien », c’est-à-dire l’éthique, peut-elle y contribuer ? Sans doute nous faut-il d’abord reconnaître dans quel contexte nous vivons, une société qui privilégie… non, qui est dépendante des « solutions » technologiques et de la technologie en général.

Les technologies ne sont pas vierges lorsqu’elles arrivent dans notre monde. Elles ne sont ni innocentes, ni non accompagnées. Elles se parent de mots tels que « innovante », « plus rapide », « moins chère », « plus grande », « plus facile », etc. Elles nous offrent d’en mettre toujours plus à notre disposition, même si cela rend la nature, ce qui nous inclut, jetable.

Notre discernement éthique est complexifié par le fait que notre société est essentiellement capitaliste. La déférence à l’égard du secteur des entreprises, censé être le grand maître de l’argent, est omniprésente. Le lobbying de ce secteur se traduit régulièrement par des « partenariats » lucratifs et axés sur la technologie entre gouvernements et entreprises. (Les gouvernements sont moins enclins à soutenir des solutions et des partenariats davantage axés sur les communautés, à petite échelle et simples sur le plan technologique.)

Malheureusement, cet esprit du capitalisme n’est pas seulement à l’extérieur de nous, mais il se trouve également dans notre tête et notre cœur, gonflant nos besoins et désirs et amenuisant nos sensibilités. Il se nourrit de notre peur de l’insécurité, de n’en avoir jamais assez, qu’il promet d’apaiser en nous offrant une vie toujours plus pleine et plus facile.

Je soutiens que pour mettre de l’avant l’éthique dans notre monde en crise écologique « auto-infligée », nous avons besoin d’un compagnon porc-épic qui nous apprenne à aller de l’avant en reculant; nous devons nous rappeler une sagesse communément oubliée. Nous pourrions ainsi nourrir en nous des imaginations éthiques plus sages pour notre monde troublé et merveilleux.

Rappelons-nous le philosophe grec, l’oncle Aristote, pour qui l’« éthique » est inséparable d’« èthos » et inclut « polis ». L’éthique en tant que discernement du « bien » est liée au politique et plus largement à notre èthos, notre demeure. L’éthique appliquée est l’ensemble des actions souhaitées négociées avec notre habitat. Et celles-ci dépendent en partie de l’ampleur de notre vision de notre demeure, de notre lieu de vie, de notre monde. En effet, voir devient ici une sorte d’action éthique, qui contribue à façonner le bien que nous recherchons.

Notre terre recouverte d’eau et d’animaux demande et exige de nous que nous la regardions avec attention, avec soin et respect. Nous devons aller au-delà du fait de considérer les autres comme des objets ou des moyens au service de notre intérêt personnel, et les considérer plutôt comme des êtres qui ont une valeur en soi, avec leurs propres intérêts, c’est-à-dire ce qui se trouve entre eux et les autres. Cela nécessite une vision qui reflète ce que des termes mystérieux comme « regarder », « assister » ou « étreindre du regard » suggèrent.

Ainsi, une invitation à « étreindre du regard » une forêt ou notre Terre suppose davantage que de simplement en observer les caractéristiques. Cela incite à les considérer avec respect, voire avec tendresse. En outre, cela nous invite à reconnaître que nous sommes étreint.e.s par ce que nous voyons. Cela évoque l’intimité qui naît lorsqu’on est étreint.e par celui, celle ou ceux que nous voyons, et par qui nous sommes vu.e.s ou lorsque nous les étreignons à notre tour. Et cela devrait susciter une prise de conscience de la profondeur de la relation. Le mot « redevable » surgit [en anglais, « to hold » signifie étreindre et « beholden » signifie redevable. NDLT] et révèle la force éthique qui se trouve là. Ainsi nous sommes « redevables », c’est-à-dire endettés, envers la forêt à laquelle notre bien-être est lié et nous avons la sagesse de lui témoigner des égards, de l’attention et de la bienveillance.

Une telle façon de voir, de dire et de penser, avec de la tendresse pour ce à quoi l’on s’intéresse, n’est pas universelle, ni la seule façon d’obtenir des résultats souhaitables. En effet, la vision « objective » des sciences, qui se situe à l’opposé, a apporté de nombreux bienfaits. Mais les sciences ont également été des partenaires à la fois volontaires et non volontaires dans la fabrication de nos crises écologiques actuelles.

Par conséquent, une vision éthique de la Terre qui implique de voir, de ressentir et d’agir comme des personnes redevables doit se répandre davantage. Il n’est pas réaliste de penser que tout le monde puisse s’approprier cette vision, mais elle doit mobiliser suffisamment de personnes pour dicter les pratiques, les politiques et la mise en œuvre de celles-ci.

Même sans le plein accord de nos concitoyen.ne.s en ce qui a trait à notre demeure, il n’est pas impensable que nous puissions trouver des zones d’accord véritable. On peut retrouver dans l’ensemble des traditions de sagesse des différentes régions du monde l’idée d’une forme de lien ou de traité entre les humains et la Terre et ses créatures. C’est ici, conjointement avec les sciences de l’environnement, que se trouve l’élément essentiel d’une éthique.

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Bob Haverluck

  • Mentor.e 2020
  • Ancien.ne
Bob Haverluck (B.A. (Université du Manitoba), B.D. Hons. (Université de Winnipeg) est un théologien et un artiste-conteur qui travaille avec des…