Colloque international sur la fin de vie
En septembre dernier à Halifax, les boursiers Samuel Blouin, Benjamin Gagnon Chainey et Caroline Lieffers ont assisté au colloque international sur la fin de vie, l’éthique, les politiques et la pratique co-organisé par la lauréate 2015 Jocelyne Downie, dans le cadre de son projet de recherche de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Ils nous livrent ici un compte-rendu de ce qu’ils ont retenus de cet événement qui couvrait plusieurs disciplines comme le droit, la médecine, les soins infirmiers, la philosophie et la bioéthique, et auquel ont assisté des praticiens, des universitaires, des travailleurs d’ONG, des régulateurs et des décideurs politiques.
Faits saillants du colloque
Que veut-on dire par une “bonne mort”? Et comment peut-on s’assurer que les gens y aient droit? On a pu constater, lors de la conférence ICEL2, que ces questions et leurs réponses sont fort complexes et qu’il faut prendre le temps de les clarifier et les comprendre. La mort demeure un sujet tabou dans nos sociétés, mais cela peut – et devrait – changer. Il faut parler davantage de la maladie, des soins et de la mort pour assurer le respect et la sécurité des personnes, même aux derniers instants de leur vie. Beaucoup de travail reste à faire, car même si la plupart des Canadiens préféreraient mourir chez eux, peu d’entre eux arrivent à le faire. Les soins palliatifs sont fragmentaires et insuffisants; le sentiment d’être utile ou non teinte trop souvent la valeur que nous accordons à notre vie ou à celle des autres; et il faudra trouver réponse aux questions de morale et de procédure quant aux directives médicales anticipées pour l’aide à mourir. Est-il possible de prendre des décisions sur notre propre avenir, qui demeure inconnu? Le bonheur est-il l’aspect le plus important de la dignité? Comment sait-on que notre raison de vivre est sur le point de s’achever? Accepter la mort et en parler avec franchise – en particulier pour la question de l’aide à mourir – ébranlent nos concepts, notamment quant à la valeur inhérente qu’on accorde à la vie; cela nous force à penser à de nouvelles règles. La conférence ICEL2 a été le lieu de francs débats sur ces enjeux; la discussion doit maintenant se poursuivre dans les cabinets médicaux, dans la collectivité et en famille autour de la table. - Caroline Lieffers, boursière 2015 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau
Près de deux ans après l’entrée en vigueur de la Loi concernant les soins de fin de vie au Québec qui a légalisé l’aide médicale à mourir et plus d’un an après l’adoption de la loi fédérale sur l’aide médicale à mourir, ce colloque faisait en quelque sorte figure de premier bilan académique de l’expérience canadienne. La comparaison avec les expériences d’autres juridictions ayant une plus longue pratique de l’assistance à mourir, que ce soit les Pays-Bas, la Belgique ou certains États américains, était instructive. En comparaison avec ces autres expériences, plusieurs ont souligné la rapidité avec laquelle cette nouvelle pratique a été mise en œuvre au Canada, que ce soit à la lumière du nombre de demandes ou de l’avancement de la réflexion sur l’élargissement des critères d’accès, notamment aux mineur-e-s matures et aux patient-e-s chez qui la maladie mentale est la seule condition médicale motivant la demande. Ce constat n’était toutefois pas sans s’accompagner d’invitations à la prudence de la part de nos collègues à l’international. Les lois canadiennes sur l’aide médicale à mourir ont pu s’inspirer des données et réflexions des autres pays. Mais cette fois, tous les regards sont tournés vers le Canada comme en témoigne le ralliement à travers le monde à l’expression « aide médicale à mourir », forgée au Québec pour parler de l’euthanasie puis reprise au Canada pour parler de l’euthanasie et du suicide assisté. Notre responsabilité collective en est d’autant plus grande. - Samuel Blouin, boursier 2016 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau
Ce colloque a démontré que la fin de la vie est le théâtre d’enjeux complexes, dont la « souffrance intolérable » du patient est l’une des pierres angulaires. Mais quand est-ce que, face à cette « souffrance intolérable » difficile à définir, la mort devient un « soin approprié » ? Et si l’aide médicale à mourir est un « acte relationnel et transformationnel », comment transforme-t-elle les rôles des soignants, des patients et de leurs proches, mais également nos rapports socio-culturels à la mort ? Nul discours ne peut prétendre répondre seul à ces questions, littéralement de vie ou de mort, d’autant plus que les mots pour en parler sont lourds de conséquences. Du « suicide assisté » à l’« aide médicale à mourir », en passant par l’« euthanasie », la façon de dire l’acte a un impact important sur sa nature, sur sa signification et son acception sociale. Ainsi, les réflexions entourant la fin de la vie se doivent d’être résolument interdisciplinaires, et la Conférence d’Halifax s’est inscrite dans cet effort de concertation des voix au chevet des patients mourants. Par exemple, médecins et juristes interrogeaient les frontières poreuses des types de « sédations palliatives », d’autres panels bioéthiques questionnaient les « critères d’admissibilité » à cet ultime droit de « choisir sa mort ». Un surplomb philosophique permettait quant à lui d’appréhender les « transformations narratives » de nos façons de dire – et de performer – une mort qui serait à la fois « digne » et, au-delà des tabous et des paradoxes, serait en adéquation avec le caractère sacré de la vie. - Benjamin Gagnon Chainey, boursier 2017 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau
Ce qu’ils retirent de ce colloque
J’ai été très impressionnée par le niveau du discours, par l’attention et la compassion dont ont fait preuve les conférenciers et les participants de la conférence ICEL2. Les soins en fin de vie et l’aide à mourir sont des sujets manifestement complexes, chargés d’émotion et sujets à controverse. Mais chacun des conférenciers a montré un véritable désir de bien faire les choses et de respecter la vie, l’expérience et la peur d’autrui. Plusieurs Canadiens handicapés se demandent, par exemple, si l’élargissement de l’aide médicale à mourir se fera au détriment de la valeur de leur vie, que ce soit dans leur propres rapports avec le système de santé ou, de manière plus générale, dans le renforcement des préjugés sociaux selon lesquels certains types de douleurs et de maladies, ou encore la perte d’autonomie, rendent la vie intolérable. Pourra-t-on jamais départager la douleur, la souffrance psychique et l’autostigmatisation? Quel poids accorder à l’agonie immédiate ou au besoin de soulagement dans le projet qui vise à effacer les stigmates de la différence et de la perte d’autonomie? Comment la profession médicale peut-elle surmonter les épisodes violents de son histoire? Ces questions et préoccupations doivent nous guider et la conférence ICEL2 m’a donné espoir que le discours national sur les soins en fin de vie sera juste et permettra à l’ensemble de la société de faire les choses de la bonne façon. - Caroline Lieffers, boursière 2015 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau
À plusieurs reprises au cours du colloque, j’ai ressenti un certain trouble chez moi et d’autres participant-e-s face aux données quantitatives présentées au sujet notamment des demandes acceptées ou refusées dans différents pays, y compris au Canada. En effet, comment doit-on interpréter ces données ? Qu’est-ce qu’un taux « acceptable » d’aides médicales à mourir par rapport au nombre total de décès ? Qu’est-ce qu’un taux « normal » de refus de demandes d’aide médicale à mourir ? 10 %, 30 % ? Que signifient ces chiffres ? Les disparités régionales et interindividuelles étaient aussi sources d’interrogation. Ces questionnements étaient souvent associés à des appels à une prise de recul par le recours aux perspectives des sciences humaines et sociales. Cet appétit est d’ailleurs reflété dans le groupe de boursiers-ères de la Fondation présent-e-s au colloque qui sont issus des disciplines sociologique, historique et littéraire. Cet intérêt contraste avec les perspectives cliniques, épidémiologiques, éthiques et juridiques qui dominent le champ des études sur l’assistance à mourir. Les conversations sur l’assistance à mourir sont mûres pour un apport de ces disciplines. - Samuel Blouin, boursier 2016 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau
Entrevue de Samuel Blouin à propos du colloque – Radio-Canada
La Conférence d’Halifax m’a permis de mieux comprendre les tensions entre, d’une part, une pratique du soin basée sur les évidences scientifiques et, d’autre part, les limites du droit et les ambivalences soulevées par les humanités médicales. Cette Conférence m’a convaincu de la nécessité d’une concertation interdisciplinaire entourant les débats éthiques sur la fin de la vie : une concertation qui interroge les discours médico-juridiques depuis les humanités médicales, permettant de mieux contextualiser historiquement, sociologiquement et culturellement l’aide médicale à mourir. Lorsqu’il est question de la mort – ici « choisie » – d’un être humain qui souffre, la science et le droit doivent affronter de grandes zones d’ombre, souvent inconfortables : « Écoutez le dérangeant et tenez-en compte », a lancé en conférence plénière Linda Ganzini, médecin psychiatre américaine. Les humanités médicales permettent d’aborder de front ce qui dérange : ce qui semble profondément subjectif et échappe parfois aux discours scientifiques et juridiques. Dans une étude qualitative menée aux Pays-Bas, l’infirmière, sociologue, et professeure Roeline Pasman révélait que les médecins pouvaient souvent difficilement « concevoir », « imaginer » la portée d’une « souffrance intolérable » chez leurs patients leur réclamant la mort. Il s’agit bien là du nerf de l’empathie – de cette capacité à ressentir la souffrance vécue par l’autre – et c’est l’hybridation des discours qui permettra aux efforts médico-juridiques d’embrasser toutes les facettes de la fin de vie humaine. - Benjamin Gagnon Chainey, boursier 2017 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau.