Gillian McKay: la Journée mondiale de l'aide humanitaire
Gillian McKay est boursière 2016 de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. De janvier à mai 2019, Gillian a suspendu ses études afin de se joindre à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans sa lutte contre le virus Ebola en République démocratique du Congo. Elle revient sur son expérience dans ce récit de première ligne.
Les gens me demandent toujours, lorsque je me mobilise pour une épidémie d'Ebola: "Tu n'as pas peur?" et la réponse est habituellement: "Non, pas vraiment, je suis assez bonne dans ce domaine ». Ce qui, je le sais, doit paraître un peu étrange : c’est inhabituel d’être une experte des fièvres hémorragiques virales. Après avoir travaillé pendant neuf mois sur la grande épidémie en Afrique de l’Ouest en 2014 et 2015, puis entamé mon doctorat sur la santé reproductive pendant les épidémies d’Ebola, c’est maintenant devenu ma spécialité. Ainsi, quand on m’a demandé de me rendre en République démocratique du Congo (RDC) avec l’OMS pour soutenir l’équipe de prévention et de contrôle des infections dans l’épisode actuel d’Ebola, j’ai pensé que je serais dans mon élément. Il s’avère que peu de problèmes reliés à l’Ebola sont techniques. Il s’agit presque entièrement de facteurs environnementaux locaux et j’ai trouvé la courbe d’apprentissage très raide, compte tenu des circonstances uniques de cette éclosion.
L’épidémie actuelle se trouve principalement dans le Nord-Kivu, une région de la RDC en conflit depuis plus de 20 ans où on compte plus de cent groupes armés. Il y règne une profonde méfiance à l’égard du gouvernement congolais et l’infrastructure sanitaire est médiocre. Ensemble, ces éléments rendent la lutte contre une épidémie mortelle extrêmement difficile.
Il y a eu des avancées importantes depuis l’épidémie en Afrique de l’Ouest, notamment un vaccin très efficace et des traitements expérimentaux visant à améliorer les chances de survie des personnes atteintes. Mais ces outils ne sont utiles que lorsque les intervenant.e.s ont accès aux personnes qui en ont besoin et lorsque les personnes malades ont suffisamment confiance en la réponse humanitaire et le système de santé. Dans une zone touchée par un conflit avec une population fortement marginalisée depuis des années, aucune de ces choses n’est garantie. Une citation dans un rapport récent de Médecins sans frontières explique pourquoi il est si difficile de gagner la confiance et l’engagement de la population locale dans les activités de lutte contre le virus Ebola :
« Si vous teniez à nous, vous nous demanderiez nos priorités. Ma priorité est la sécurité de mes enfants, et veiller à ce qu’ils ne meurent pas de malaria ou de la diarrhée. Ma priorité n’est pas Ebola. C’est votre priorité. »
Pour essayer de créer un climat de confiance entre les intervenant.e.s et la communauté locale, l’une de mes premières tâches en RDC a été de mener une petite étude par le biais d’une série de discussions sur l’impact de la réponse humanitaire sur la région. Les résultats étaient à la fois surprenants et attendus. J’ai été surprise de voir à quel point les travailleur.se.s humanitaires se sentaient seul.e.s et effrayé.e.s. Ils et elles m’ont souvent dit se sentir comme les ennemis du peuple, car si un patient se présente dans leur établissement avec des symptômes pouvant suggérer la présence du virus Ebola (fièvre, vomissements, fatigue), ils doivent contacter les équipes d’enquêteur.se.s afin de déterminer si la personne en est bel et bien atteinte. De plus, les travailleur.se.s humanitaires peuvent être attaqué.e.s par la population locale pour avoir « collaboré » à la réponse humanitaire.
Les membres de la communauté locale ont indiqué que les établissements de santé étaient des endroits où il était possible de contracter le virus, car ces derniers ont souvent des ruptures de produits hygiéniques de première nécessité, et beaucoup n’ont pas l’eau courante. Une autre critique récurrente est que l’action humanitaire, avec ses gros VUS et le grand nombre de personnes étrangères, est trop intense et perturbante. Pourquoi la crise ne peut-elle pas être gérée de manière plus discrète ?
Les résultats de cette recherche ont été intégrés aux travaux de prévention et de contrôle des infections et à la réponse plus large dans son ensemble. Au cours des derniers mois, le ministère de la Santé et toutes les organisations ont déployé des efforts concertés pour adapter la réponse aux réalités locales. Il s’agit d’un changement d’approche important, la rendant beaucoup plus axée sur la communauté, répondant aux besoins identifiés par la population dans les domaines de la santé, de la sécurité et de l’économie et ne se concentrant pas uniquement sur Ebola. À mon avis, cela est beaucoup plus efficace, comme mes collègues et moi en discutons dans ce récent article.
En réfléchissant, je pense que j’étais probablement un peu trop confiante avant le déploiement. Je connais le virus Ebola. Je connais même les environnements dangereux. Mais les deux ensembles représentent une situation entièrement nouvelle pour moi (et pour tout le monde dans cette réponse humanitaire, car c’est la première fois que la communauté internationale de la santé publique intervient contre le virus Ebola dans un contexte de conflit armé). De plus, j’étais peu familière avec la RDC. J’ai constaté que même si j’étais en mesure de mettre à profit une partie de mon expérience en Afrique de l’Ouest, en particulier lorsque j’ai plaidé pour le maintien des services de santé en matière de procréation dans de telles situations d’urgence, je devais rester humble et apprendre de ceux qui étaient déjà sur le terrain, de la population locale et du personnel de santé de première ligne (dont la grande majorité sont congolais ou proviennent d’Afrique francophone). Je suis très reconnaissante d’avoir pu participer à cette intervention humanitaire. Je suis de tout cœur avec les personnes courageuses et dévouées qui travaillent tous les jours dans cette région pour s’efforcer de mettre un terme à cette terrible maladie.